Quel avenir pour les théâtres de marionnettes parisiens ?

À deux pas des vitrines de luxe et des bureaux cossus de l’avenue des Champs-Élysées, un mince théâtre de bois se délite en silence. C’est le plus ancien théâtre de marionnettes de Paris, mentionné dans Charade (1963) avec Audrey Hepburn, ou encore La Grande Vadrouille (1966), où Bourvil y tombe amoureux de Marie Dubois. Aujourd’hui, ce petit pan de culture populaire fondé en 1818 pourrait disparaître.

L’histoire de ce théâtre de guignol - un genre emblématique de la famille des marionnettes - est aussi celle d’un rendez-vous manqué avec la ville. Après avoir obtenu la concession du lieu en 2022 pour une période de quinze mois, François Allain se voit retirer les clés en 2023 en raison des aménagements prévus sur les Champs-Élysées, liés aux Jeux olympiques. « J’avais tout un projet de reconstruction du théâtre estimé à 100 000 euros. C’est difficile d’investir avec un bail aussi court », regrette François Allain, qui gère également avec son associé la troupe Guignol et compagnie du square Saint-Lambert dans le XVe arrondissement. Depuis, le lieu tombe en ruine. Catherine Lecuyer, conseillère du 8e arrondissement, déplore cette déchéance : « C’est un théâtre emblématique des Champs. Il fait partie du patrimoine populaire parisien, il ne mérite pas de finir comme ça. »

Jeanne d’Hauteserre, la maire du VIIIe arrondissement qui assure être « personnellement attachée à ce lieu », va faire appel à des « spécialistes » courant mai pour ficeler un projet de réhabilitation du théâtre. Un « nouvel appel d’offres sera formulé », précise-t-elle. Mais sur le fond, l’édile reste perplexe : « Je m’interroge sur l’intérêt des familles à fréquenter ce genre de lieu, à l’heure des écrans ».

« Le luxe n’aura de sens que s’il préserve l’art de vivre parisien. »

Linda Dawudian, une habitante du VIIIe arrondissement

Habitante du très chic triangle d’or du VIIIe, où vivent près de deux milliers de familles, Linda Dawudian refuse de voir sombrer dans l’oubli ce qu’elle considère comme « un monument de notre histoire ». 

« C’est là que j’ai emmené ma fille quand elle était toute petite », déplore celle qui est montée au créneau auprès de la mairie pour défendre le théâtre. Aux petites marionnettes, les grands moyens : Linda Dawudian enverra la semaine prochaine une missive au patron de LVMH, dont le siège social se situe à quelques centaines de mètres, pour lui demander de faire un don. « Le luxe n’aura de sens que s’il préserve l’art de vivre parisien », insiste-t-elle. Le père Lustucru sera-t-il bientôt chaussé de mocassins Berluti ?

La plaisanterie est facile, mais le sujet, lui, est pris très au sérieux par les défenseurs du patrimoine parisien. « Le théâtre de marionnettes, c’est l’art populaire français par excellence », souligne Antoine Boulant de l’association Paris Historique. Lui aussi a alerté la mairie quant à l’avenir du petit Guignol. D’autant plus que, pour les marionnettistes parisiens, l’intérêt des spectateurs pour ces spectacles miniatures n’a jamais été remis en cause.

Marionnettiste à temps plein, c’est possible

Paris compte aujourd’hui douze bastions de marionnettistes : au Jardin du Luxembourg (VIe), au parc des Buttes-Chaumont (XIXe), au parc Montsouris (XIVe) ou encore au Jardin d’Acclimatation (XVIe). Neuf d’entre eux proposent uniquement des spectacles de Guignol. « Le nombre de théâtre de marionnettes n’a pas changé depuis plusieurs décennies. À chaque fois qu’un exploitant part, il est tout de suite remplacé », affirme François Allain, qui a également publié un livre, Guignol, en 2008.

La marionnette est souvent une affaire de famille. Baptiste Rank, 35 ans, gère le théâtre Le Guignol au parc des Buttes-Chaumont. Son père, qui gère celui du parc Montsouris, lui a transmis une passion : celle de faire rire les enfants. « C’est plus que mon métier, c’est ma raison de vivre », confie-t-il. Avec un ticket d’entrées à sept euros, six représentations par semaine et une salle pouvant accueillir 90 personnes, le marionnettiste vit pleinement de son activité. Depuis ses débuts en 2008, « ça fonctionne toujours aussi bien », assure-t-il. Et si les fins de mois sont difficiles, certains cumulent les cachets avec « les spectacles d’école et les anniversaires », comme le confie François Allain.

Le profil des spectateurs - habitués ou simples curieux - qui remplissent les bancs de ces petits théâtres diffère en fonction de leur localisation. « Les familles qui viennent voir nos spectacles habitent pour la plupart dans le quartier, mais nous avons aussi bon nombre de touristes», assure Pascal Pruvost, gérant du Guignol Anatole, le second théâtre des Buttes-Chaumont. Son théâtre de plein air ouvre aux beaux jours et accueille 5000 spectateurs par an, à six euros l’entrée. Lors des saisons de mauvais temps, Pascal Pruvost exploite le théâtre Guignol du Parc des Chanteraines, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Une seconde activité qui lui permet de travailler à temps plein. En intérieur, cette fois, le théâtre accueille près 15 000 personnes par an.

Situé dans le parc des Buttes-Chaumont, le théâtre de plein air géré par Pascal Pruvost attire chaque année 5000 petits et grands spectateurs. Pascal Pruvost - Théâtre Guignol Anatole

D’autres peuvent compter sur un flux permanent de touristes, comme le théâtre de Francis-Claude Desarthis, situé au cœur du jardin de Luxembourg. Si l’homme de 80 ans reste muet comme une marionnette sans ventriloque sur ses comptes, son affaire tourne à plein régime. Le lieu, dont le Sénat est propriétaire, attire encore jusqu’à 250 enfants et parents par représentation, les jours extrascolaires, avec un ticket d’entrées à 7,40 euros. Le décor est vintage : carrelage à petits carreaux, sièges en cuir rouge, distributeur de bonbons au fond de la salle où se ruent les enfants à l’entracte. On y joue Minouchet, Pinocchio, Père Lustucru. « C’est vraiment un lieu typique parisien ! J’aurais aimé avoir ça quand j’étais gamin », s’exclame Christophe, un Suisse, venu passer un week-end à Paris avec sa femme et ses deux filles. « Ça fait partie des activités que j’avais cochées sur ma liste », raconte-t-il, aussi enjoué que ses enfants après la représentation des aventures du chat Minouchet. « On reviendra peut-être demain pour Les 3 petits cochons ! »

En intérieur comme en plein air, au nord ou au sud de Paris, les gérants des théâtres de marionnettes y trouvent leur compte, pariant sur la fidélité de leur public local et leur capacité à attirer des touristes. De la même manière, la maire du VIIIe arrondissement, Jeanne d’Hauteserre, joue un rôle d’équilibriste, entre sa volonté de préserver un patrimoine culturel populaire et celle de s’adapter aux enjeux économiques bien plus importants qui secouent les Champs-Élysées.