Notre critique de Dans la cuisine des Nguyen : une tonitruante comédie musicale
Du pays de ses parents, Yvonne Nguyen ne connaît pas grand-chose. Le poster de la baie d’Along affiché dans la maison familiale ne lui évoque pas les charmes éternels de l’Orient mais le restaurant de sa mère à Torcy, en Seine-et-Marne. Elle n’a de toute façon jamais mis les pieds au Vietnam. Yvonne n’est pas du genre contemplative, tout comme ne l’est pas l’étonnant film de Stéphane Ly-Cuong qui aborde d’une manière aussi tonitruante que fine la quête identitaire de ces Français d’origine asiatique.
Tonitruante parce qu’il choisit le biais de la comédie musicale pour l’évoquer. Yvonne veut depuis toujours percer dans ce milieu artistique. Elle se rêve en star de Broadway mais pour l’heure, c’est en « reine des nems », animatrice d’un corner culinaire en supermarché qu’elle gagne sa croûte alors que dans les castings on la rembarre de manière un peu gênée : « Désolée, mais il y avait peu d’Asiatiques dans les Vosges au XVe siècle… » Il restera toujours le rôle de Mulan à Disneyland Paris, lui fait comprendre une autre postulante franco-asiatique croisée lors d’un essai. Cette Fu Fen (Leanna Chea) assume pleinement les clichés qu’on lui assigne : exotisme, voix pointue, sourire éternel et marche à petits pas.
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Deux cultures
Cette difficile recherche de modèles quand on baigne dans deux cultures est au cœur du film de Stéphane Ly-Cuong qui a coécrit le scénario du très bel Hiver à Sokcho avec Roschdy Zem, déjà un film sur le tiraillement identitaire vécu là par une Coréenne née de père français, sur un mode plus tragique toutefois. Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Stéphane Ly-Cuong a en effet la délicatesse d’insuffler à l’histoire d’Yvonne de la gaieté et du second degré à haute dose, beaucoup de tendresse aussi. Clotilde Chevalier, son Yvonne qui approche de la quarantaine, se voit obligée de revenir vivre chez Ma, sa mère (excellente Anh Tran Nghia) au-dessus du restaurant familial. C’est dans la cuisine que les deux femmes se retrouvent, se chamaillent à fleurets mouchetés, finissent par se rapprocher.
La mère d’Yvonne est une ancienne boat people qui aurait rêvé que sa fille devienne médecin comme son ami d’enfance Georges. « On dirait une réfugiée », lance-t-elle à Yvonne lorsque celle-ci revient à Torcy avec sa valise avant de la réquisitionner en cuisine où elle lui reproche de rouler les nems « comme un éléphant ». Cet espace intime où l’on pèle, où l’on tranche, où l’on mélange et relève les plats est un endroit idéal pour travailler cette relation mère-fille.
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Comique revendiqué
Côté casting, cela s’arrange quand Yvonne passe les étapes d’une sélection de comédiens pour un ambitieux projet de comédie musicale sur Casanova. Elle vise le rôle de la princesse chinoise censée séduire le Vénitien et fait mouche auprès de Philippe, le metteur en scène. Ce dernier est interprété par le grand ordonnateur des cérémonies des JO, Thomas Jolly, qui s’autoparodie avec un naturel drôle et confondant. Lui oscille entre maladresse, voyant en sa protégée des réminiscences de cet idéal féminin asiatique stéréotypé, et empathie (« J’aime ta vulnérabilité »).
C’est dans ces scènes de castings ou de répétitions pour l’improbable spectacle que le comique revendiqué par le réalisateur s’épanouit hardiment. Et c’est ainsi que le film parvient à la fois à toucher et à réjouir celui qui le regarde, évacuant prestement la mièvrerie à coups de paillettes dorées et de quelques chansons. On retiendra ainsi un concert mélancolique de la « Dalida vietnamienne », un joyeux karaoké ou une ritournelle qui reprend le titre du film, Dans la cuisine des Nguyen, le tout formant un ensemble pop et harmonieux.
La note du Figaro : 3/4