Robert Badinter au Panthéon : retrouvez le discours d’Emmanuel Macron en intégralité

Retrouvez l’intégralité du discours d’Emmanuel Macron prononcé le 9 octobre 2025 à l’occasion de la panthéonisation de Robert Badinter.


Les morts, ici aussi, nous écoutent. Et il est des voix que nous entendons encore résonner. Celle de Robert Badinter en est une singulière et forte porteuse des idéaux de la France et de la République. Robert Badinter, dans un instant, prendra place aux côtés des hommes de 1789 : Condorcet, l’abbé Grégoire, Gaspard Monge, et non loin reposent déjà Victor Hugo, Émile Zola, Jean Jaurès, Jean Moulin, Missak Manouchian et tant d’autres. Robert Badinter rentre au Panthéon avec les Lumières et l’esprit de 1789. La promesse accomplie de la Révolution. Robert Badinter rentre au Panthéon avec les principes de l’État de droit. Une certaine idée de l’Homme, inséparable de l’idéal républicain. Et dans cet instant. Nous entendons sa voix précise, articulée, aux accents quelquefois caverneux, montant soudain sous les échos de cette voûte, cette voix pleine de colère, d’indignation, de passion, toujours juste.

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Il entre au Panthéon et nous entendons sa voix qui plaide ses grands combats essentiels et inachevés : l’abolition universelle de la peine de mort, la lutte contre le poison antisémite et ses prêcheurs de haine, la lutte pour la défense de l’État de droit. Ses combats sont ceux qui traversent les siècles et portent nos idéaux comme la définition véritable de ce que nous sommes.

Combat contre l’antisémitisme d’abord. Robert Badinter n’ignore rien de ce qu’est la lutte contre le négationnisme, contre Robert Faurisson et tant d’autres, et contre tous les faussaires de l’Histoire. On ne renonce jamais à combattre l’antisémitisme. Quand on a entendu dans la cour de son lycée : «Mort aux youpins», quand on a vu ses parents forcés de vendre leur boutique en raison des lois antisémites du régime de Vichy. Quand on a frôlé l’arrestation à Lyon, rue Sainte-Catherine, quelques minutes après celle de son propre père. Quand on sait sa famille, ses proches dénoncés, arrêtés, exterminés parce que Juifs, quand on a attendu en vain le retour de ce père arrêté à Lyon sur ordre de Klaus Barbie et assassiné à Sobibor, quand on a dû faire traduire ce même Klaus Barbie devant la cour d’assises d’une justice qui ne tue plus personne, même le plus zélé des criminels nazis.

Robert Badinter, né dans les années 20 ravagées par la haine des Juifs, s’est éteint dans nos années 20 où à nouveau, la haine des Juifs tue. Mais notre époque nous oblige. Alors n’éteignons jamais cette colère face à l’antisémitisme. Visage premier de la haine, c’est le combat urgent de chacun d’entre nous pour que les Juifs ne soient pas seuls. C’est là surtout l’un des combats existentiels de notre République pour que nous demeurions ce que nous sommes. Combat au nom même de notre universalisme.

Robert Badinter à 17 ans, réclamait au tribunal la restitution de l’appartement où pendant la guerre, sa famille avait été spoliée. Premier procès. Et premier mot du président alors : «Monsieur Badinter, la déportation de votre père ? Cela n’intéresse pas le tribunal». La Justice, pour Robert Badinter, ce fut aussi cette phrase. Le mépris. La haine. L’odieuse condescendance antisémite. La Justice pour Robert Badinter sera pour toujours le refus de cette phrase et de sa flétrissure.

Alors avocat, le jeune Robert Badinter ne s’assigne qu’une seule mission : défendre la vérité d’un homme. Défendre la justice, défendre l’accusé. Quel qu’il soit, quoi qu’il ait fait. Défendre l’homme derrière l’accusé et la dignité que nul ne peut lui ôter. Oui, défendre une certaine idée de la Justice qui pour être exemplaire, doit être impartiale. Voilà pourquoi il plaide pour la vie de Patrick Henry, qui a assassiné un enfant de 7 ans, lui, Robert Badinter, qui, cinq ans plus tôt, aux côtés de ses confrères, n’a pu sauver Claude Buffet et Roger Bontemps. De cette exécution, Robert Badinter a tout vu. La guillotine dressée au petit matin, le bruit du couperet. Un homme coupé en deux et la conviction plus que jamais ancrée en lui que ce spectacle n’est pas digne de la société des droits de l’Homme. Que cette férocité qui croit venger nous déshonore tous.

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C’est ce chemin de vie qui mène Robert Badinter à François Mitterrand, dont il est un compagnon de route fidèle. Et c’est à lui, et à lui seul, que le premier président socialiste de la Ve République confie la tâche ultime : obtenir l’abolition de la peine de mort. Face à une opinion rétive, Robert Badinter, au-delà des rangs de la gauche, sut convaincre des parlementaires de la droite et du centre de voter en faveur de l’abolition. La loi fut promulguée voilà 44 ans. Ce combat, pourtant, n’est pas terminé et jusqu’au bout, il continua et nous continuerons de le porter jusqu’à l’abolition universelle.

Pour Robert Badinter, chaque jour devant nous doit être un 9 octobre.

C’est la même exigence qui habite le ministre de la Justice, celui qui entend mettre fin à l’inhumanité dont peuvent être l’objet les prisonniers dans leur cellule, qui fait abroger, avec l’aide de Gisèle Halimi, la loi de Vichy réprimant encore l’homosexualité, qui supprime les tribunaux d’exception des forces armées, qui abroge la loi anticasseurs qu’il juge, à juste titre, attentatoire aux libertés individuelles, qui offre un nouveau recours, celui de la Convention européenne des droits de l’Homme aux justiciables, qui donne plus de place aux victimes et protège mieux les atteintes à la dignité humaine. Garde des Sceaux, Robert Badinter est gardien d’un idéal.

Et parce qu’il entend œuvrer en demeurant fidèle à ce qui fonde l’engagement d’une vie, il est critiqué, attaqué, moqué, vilipendé, insulté, injurié, haï même. Et jusqu’à aujourd’hui, cette haine odieuse de quelques-uns le poursuivant même dans son soleil d’outre tombe. Ses ennemis les plus farouches n’ont de cesse de vouloir lui coller l’étiquette qu’il pense infamante de laxiste. Jusque sous les fenêtres de son ministère, il vocifère. Mais aujourd’hui, comme hier, ceux qui dénoncent le laxisme d’une justice qui ne tue plus n’aiment pas que la justice soit juste. Chaque fois que ses ennemis traitent Robert Badinter de laxiste, il lui décerne le titre d’humaniste.

C’est au nom de cette exigence même, toujours guidé par le souci de protéger les lois fondamentales qui assurent à chacun d’entre nous liberté et dignité, que le président du Conseil constitutionnel se fait le défenseur et le promoteur de l’État de droit. Robert Badinter le sait mieux que quiconque. Là où l’arbitraire se répand, là où l’État de droit est attaqué, prospèrent toutes les formes de haine, de racisme, d’antisémitisme. S’impose aussi la loi du plus fort, ou la démagogie du moment. Oui, défendre l’État de droit, c’est protéger chacun dans sa dignité, c’est protéger la nation dans sa liberté, c’est protéger les Lumières dans leur clarté.

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Parce qu’il croit à l’universel, Robert Badinter porte ses combats au-delà des frontières. En Europe d’abord, où il aide de jeunes démocraties à écrire leurs constitutions comme témoin du procès Eichmann à Jérusalem et artisan du procès de Klaus Barbie à Lyon. Militant de la justice internationale, Robert Badinter défend ce refus de l’impunité, assignant à chaque bourreau sa peine. Car les crimes, partout et toujours, doivent trouver leur juste châtiment.

Robert Badinter, c’est la vie juste. Partout et toujours défendre ce droit de chacun à devenir meilleur. Partout et toujours, rendre l’homme plus libre. C’est par le savoir et l’éducation que l’on s’arrache à ses assignations. Croire en l’Homme, c’est croire, oui, qu’il peut devenir meilleur. Et le combat de Condorcet fut le sien. Fils d’immigré russe naturalisé français, Robert Badinter devient professeur agrégé. C’est par l’amour qu’on trouve parfois la force de cette quête. Robert et Élisabeth Badinter écrivent du couple formé par Condorcet et Sophie qu’ils sont l’un pour l’autre le monde entier. À leur tour, à leur manière, Élisabeth et Robert sont l’un pour l’autre l’universel tout entier. Lumière d’un grand amour, amour des grandes lumières.

Alors oui, ce soir, Robert Badinter entre ici avec ses combats et nous entendons sa voix. Nous entendons sa voix quand, visitant Auschwitz pour la première fois, un jour de printemps, Robert Badinter remarqua trois fleurs dans ce champ dévasté et songea : «C’est en voyant ces fleurs que j’ai compris que la vie est plus forte que la mort». Nous entendons sa voix. Et derrière elle se dessine son sourire. Une confiance, une espérance.

Alors oui, les morts nous écoutent. À nous aussi de les entendre, de nous dresser à notre tour. De porter leur combat à nouveau pour que les vivants espèrent.

Vive la République! Vive la France!