Dans Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, une chanteuse incarne un homme qui se déguise en femme. Au Théâtre des Champs-Élysées, Krzysztof Warlikowski se saisit de cet opéra sur le travestissement et les jeux de miroirs pour ajouter une perspective supplémentaire : et si le garçon qui se déguise en fille était vraiment une fille ? Cette manière vertigineuse d’amplifier l’ambiguïté sexuelle inhérente à l’opéra même, est d’une habileté rare.
Le spectacle est pétillant d’intelligence, multipliant les perspectives. Dans un milieu non plus viennois mais parisien décadent, toute cette société est en représentation. La Maréchale tourne un film et assiste en spectatrice à la rencontre entre son amant et sa rivale. Les intrigants sont des reporters people qui filment et enregistrent à votre insu. Une société plus bigarrée que jamais, la question toujours délicate du serviteur noir de la Maréchale étant résolue avec astuce. Société très sexualisée, pleine de figures plus insolites les unes que les autres, souvent vulgaires, parfois confuses, éventuellement foutraques, ingénieusement mises en regard du Chevalier traditionnel, projeté sur écran. Un regard ironique et provocant, qui n’exclut pas l’émotion au moment de prendre au sérieux la tristesse de la Maréchale.
Les débuts remarquables de Véronique Gens
Véronique Gens débute dans ce si beau rôle, exactement au bon moment : elle y est non seulement crédible, mais incarnée, vivante, drôle et triste, humaine. La ligne de chant est parfaite, la voix égale : la classe. Une fois en confiance, peut-être osera-t-elle plus de colorations sur les mots. Niamh O’Sullivan est un Octavian ardent, aussi féminin que masculin, à la voix jeune et souple et au jeu varié.
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Ridiculisée à l’image de son milieu nouveau riche, la Sophie de Regula Mühlemann sait faire évoluer son personnage jusqu’à la maturité affective, avec une voix bien conduite que l’on pourrait souhaiter plus éthérée. Habitué du rôle du Baron Ochs, Peter Rose nous a paru en retrait, au contraire des savoureuses apparitions secondaires, ne serait-ce que l’impayable couple de combinards formé par Eléonore Pancrazi et Kresimir Spicer, et le chanteur italien de Francesco Demuro, traité à la parodie comme le voulaient Strauss et Hofmannsthal.
On trouve au début l’Orchestre national de France un peu trop étouffé dans la fosse, mais cela devient un avantage une fois les chanteurs en action, car le chef Henrik Nanasi veille au maximum à ne pas laisser la luxuriance straussienne les engloutir. La direction est fluide et respectueuse de la souplesse toute viennoise des enchaînements (très beau solo de violon de Luc Héry). Voilà qui clôt quinze ans de mandat de Michel Franck au Théâtre des Champs-Élysées sur un spectacle qui affirme sa singularité : révérence !
Le Chevalier à la rose , au Théâtre des Champs-Élysées (Paris 8e), jusqu’au 5 juin.