ENTRETIEN. "C'est une réussite en termes d'héritage"... Un an après les Paralympiques de Paris, Marie-Amélie Le Fur dresse un bilan positif "même si tout n'est pas réglé"
Il y a tout juste un an, le mercredi 28 août 2024, s'ouvraient les Jeux paralympiques de Paris, coup d'envoi d'une quinzaine placée sous le signe de la performance et du parasport et mettant dans la lumière des parcours de vie semés d'embûches et souvent dans l'ombre. L'occasion de faire avancer le regard sur le handicap et d'améliorer l'inclusion des personnes en situation de handicap.
Un an après les Jeux, les promesses ont-elles été tenues ? franceinfo: sport s'est entretenu avec Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF), pour faire le point sur l'après-Jeux, au siège de l'instance à l'Insep.
franceinfo: sport : Qu'est-ce que l'on retient un an après la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques de Paris ?
Marie-Amélie Le Fur : On peut déjà retenir le véritable essor des Jeux paralympiques, leur rayonnement, leur visibilité, et par extension celui du parasport grâce à ces Jeux de Paris. Je pense que tous les Français ont suivi ces Jeux, que ce soit à la télé ou sur site avec les 2,5 millions de billets vendus. Ils ont vraiment un souvenir d'émotions et des performances. On a aussi désormais plus de visages d'athlètes paralympiques, connus et reconnus par les Français. C'était un objectif de faire en sorte que la diversité de notre mouvement, la diversité des classifications, des sports, des épreuves, des typologies du handicap soit plus répandue et parle au plus grand nombre. C'est un bilan réussi tout simplement parce que l'équipe de France, l'année dernière, a performé et a été à la hauteur du rendez-vous, avec ses 75 médailles et ce top 8 décroché. Depuis la rentrée, on observe dans certains sports, un taux d'augmentation des licences autour de 20%. C'est le cas de la fédération handisport pour la boccia.
On se souvient tous de la belle médaille d'or d'Aurélie Aubert pour l'équipe de France. Et, au travers de son exploit sportif, de son parcours de vie, des témoignages qu'elle a pu transmettre dans les médias, elle a ouvert le champ des possibles pour d'autres personnes en situation de handicap, ce qui s'est concrètement traduit dans la dynamique de sa discipline.
Marie-Amélie Le Furà franceinfo: sport
Et enfin a émergé une dynamique secondaire qui est celle de la façon dont ces Jeux de Paris ont favorisé la visibilité du parasport, c'est-à-dire du sport pour toutes les personnes en situation de handicap, quelle que soit la typologie dudit handicap, et quelle que soit la volonté de pratique, compétitive ou simplement loisir, bien-être et plaisir. C'est une réussite en termes d'héritage puisqu'on a observé une accélération de l'offre de la pratique dans les territoires, un plus grand nombre d'acteurs qui s'est engagé et qui a compris finalement l'importance de faire faire du sport aux personnes en situation de handicap.
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Aujourd'hui, on a un peu plus de 2 300 clubs formés et sensibilisés pour accueillir des personnes en situation de handicap et leur offrir une pratique adaptée à leurs besoins. Et il devrait y en avoir 2 500 de plus à la fin de l'année. L'un des effets vraiment marquants de ces Jeux de Paris 2024, est d'avoir installé le sport comme un outil essentiel du parcours de vie des personnes en situation de handicap.
Restent-il des chantiers à mener ?
Il reste encore une quantité de freins à lever : la question de la mobilité, du maillage territorial, la formation des éducateurs, la question financière. Dans la pratique régulière des personnes en situation de handicap, c'est désormais 47% des Français en situation de handicap qui disent pratiquer de façon hebdomadaire une pratique parasportive. Nous voyons depuis quelques années cette statistique en hausse même si elle est encore en décrochage par rapport à la population générale.
Tout n'est donc pas réglé, mais les nombreuses actions concrètes menées conjointement par leCPSF, les fédérations, les collectivités, l'État, et une grande diversité d'acteurs, nous permet désormais d'avoir une feuille de route cohérente, concrète, en faveur des personnes en situation de handicap, et de maintenir une dynamique forte un an après les Jeux paralympiques de Paris 2024.
Qu'est-ce qui a changé dans la vie des athlètes paralympiques depuis les Jeux de Paris ?
Un des points notables dans le parcours de vie des sportifs paralympiques est désormais leur visibilité, leur notoriété qui est sans commune mesure bien plus présente que ce que nous connaissions avant les Jeux de Paris 2024. En revanche, l'engouement et l'afflux de sponsors que nous avons collectivement connus avant les Jeux à la maison s'est malheureusement un peu éteint en période post-Paralympiques. Même si l'Etat a décidé de maintenir les mêmes importants moyens déployés lors de la dernière paralympiade, qui avaient été quadruplés, dans l'objectif des Jeux de Los Angeles en 2028, ce retrait assez important des partenaires privés met en difficulté certains de nos athlètes paralympiques.
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On doit donc continuer notre travail de consolidation du modèle économique des athètes paralympiques français pour tendre vers leur professionnalisation et faire en sorte que ces athétes puissent se destiner à 100% à leur préparation sportive, en vue des prochains Jeux d'été mais aussi ceux engagés pour les Jeux paralympiques d'hiver de 2026, et pour ceux de 2030 en France.
Avez-vous des craintes concernant les annonces pour le sport dans le budget 2026 ?
Il existe une inquiétude effectivement sur le budget 2026. Ce qui est annoncé va compliquer le travail des collectivités, de l'Agence nationale du sport et derrière des acteurs en territoire, c'est-à-dire les clubs, les ligues, les comités, les fédérations qui vont être impactés. Ca a déjà été le cas en 2025, quand on a eu les premières annonces sur la baisse budgétaire du sport. Notre objectif est de faire comprendre à tout le monde et notamment au gouvernement qu'on ne peut pas, dans un acte de responsabilité collective, éteindre la dynamique qui est celle du sport français à l'issue des Jeux de Paris 2024. On ne peut pas accepter une nouvelle baisse du budget du sport.
Factuellement, quand vous investissez un euro dans le sport, vous économisez 13 euros dans les autres politiques publiques. Il faut donc concevoir le sport non pas comme une dépense, mais comme un investissement.
Marie-Amélie Le Furà franceinfo: sport
C'est un enjeu culturel, sanitaire, de vivre ensemble et donc de cohésion sociale, et ce sont tous ces enjeux qui sont portés par le sport et qu'on a réussi à construire et à faire exister grâce aux Jeux de Paris 2024.
Concernant les enjeux d'héritage de Paris 2024, la féminisation en fait-elle aussi partie ?
La féminisation de notre équipe de France paralympique et plus globalement du mouvement parasportif est engagé depuis plusieurs années déjà, dans une volonté de féminiser plus largement toute la pratique sportive. La plupart des fédérations ont désormais un plan de féminisation mais la question de la place du parasport y est assez peu traitée alors que les dernières études démontrent qu'il y a bien des singularités et des spécificités d'être une femme en situation de handicap qui freinent la pratique sportive. Notre objectif dans les mois et les années à venir est donc de travailler avec les fédérations, membres du comité paralympique, pour mieux intégrer les femmes dans le parasport.
On connaît aussi l'enjeu de la féminisation de nos encadrements, de l'équipe de France, des clubs. C'est la féminisation de la gouvernance qui permettra d'accélérer l'accès au sport des personnes en situation de handicap. On doit donc aussi travailler sur cet axe précis.
Votre nomination à la tête de l'Agence nationale du sport est-elle un signal fort ?
Effectivement, avoir à date une femme ministre des Sports, une présidente du Comité national olympique français et une présidente du Comité paralympique et sportif français et de l'Agence nationale du sport, c'est un vrai signal envoyé, une façon d'élargir le champ des possibles et de proposer des role models.
Après, on sait aussi qu'il faut une dynamique plus forte qui s'installe, notamment à la tête des fédérations. Or, quand on voit le recul aux dernières élections des fédérations olympiques, là il faut une impulsion bien plus forte, pour que la place des femmes aux postes à responsabilités puisse irriguer les programmes, les projets et faire grandir notre mouvement sportif.