LFI accusée d’antisémitisme : un nouveau dérapage qui agace même en interne

Le visuel a rapidement été supprimé, mais cela n'a pas empêché La France insoumise (LFI) d'être à nouveau accusée d'antisémitisme. Une semaine après la publication, le 11 mars sur les réseaux sociaux, d’un post appelant à manifester le 22 mars contre le racisme et l’extrême droite représentant l'animateur Cyril Hanouna, d'origine juive tunisienne, avec les codes de l’iconographie des caricatures antisémites des années 1930 et de l'Allemagne nazie, le parti de Jean-Luc Mélenchon doit à nouveau s'expliquer.

Les insoumis plaident une erreur corrigée rapidement. Interrogée sur les propos du premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, qui estime que les insoumis doivent s’excuser, la présidente des députés LFI, Mathilde Panot, a pris soin de ne pas répondre à la question, mardi 18 mars, lors du point-presse de son groupe à l’Assemblée nationale, estimant que le sujet était désormais clos. "Le mouvement de La France insoumise n’a jamais et ne ciblera jamais une personnalité du fait de son appartenance religieuse ou du fait de son origine réelle ou supposée", a-t-elle affirmé. "Nous l’avons retiré immédiatement. Depuis, ce visuel n’est relayé que par l’extrême droite et des médias qui visent à nous salir. C’est assez !", a ajouté la députée du Val-du-Marne.

Une ligne de défense similaire à celle du chef. Invité sur France 3 dimanche 16 mars, Jean-Luc Mélenchon a refusé de faire amende honorable. Une erreur ? "Pourquoi vous me posez cette question ? De quel droit ? Qui vous êtes ? Vous m’accusez ? Est-ce que vous m’accusez ? Alors taisez-vous !", a répliqué le triple candidat à la présidentielle au journaliste qui l'interrogeait. De l'antisémitisme ? "Pourquoi ça serait de l’antisémitisme ? Ça suffit ! Ça suffit maintenant !", a-t-il encore tonné, juste avant que l'émission ne se termine.

Plusieurs de ses lieutenants avaient pourtant reconnu – fait très rare chez LFI – une "erreur" en fin de semaine dernière. Le député Paul Vannier a notamment expliqué sur le plateau de l’émission "C à vous", sur France 5, que le visuel avait "été produit en recourant à l'intelligence artificielle, au logiciel Grok, celui d'Elon Musk". "C'est une erreur que d'avoir utilisé cet outil, a-t-il ajouté. Nous avions cette règle depuis plusieurs années de ne jamais recourir à ces logiciels. Probablement parce que les logiciels d'Elon Musk contiennent en eux-mêmes, en effet, des choses qui sont nauséabondes." L'élu a assuré que "des mesures" avaient été prises pour éviter une "situation semblable" à l’avenir.

Pour l’historien de gauche Robert Hirsch, ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), auteur du livre "La Gauche et les Juifs" (éd. Le bord de l’eau, 2022), "c’est probablement la provocation antisémite la plus nette de La France insoumise", le signe selon lui d’une "dérive importante". "Le fait qu’aucun responsable politique n’ait bloqué la publication, c’est quand même révélateur que des digues ont sauté", estime-t-il.

Fait rarissime, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a publié lundi 17 mars un communiqué condamnant la publication du visuel et critiquant la réponse apportée par La France insoumise. "Toute organisation ou parti politique peut commettre des erreurs de communication. Lorsque LFI ne semble pas en reconnaître le fait et la nature, cela nous interroge sur sa compréhension et sur sa volonté d’y remédier", affirme le communiqué.

Le malaise a même gagné les troupes insoumises, certains élus faisant part en interne de leur lassitude face à la répétition de ce type de dérapages. Le député de Gironde Loïc Prud'homme s'en est ouvert dans une boucle WhatsApp, d'un message sans équivoque, rapporte le journal L’Opinion : "Y aurait-il un moyen de s'éviter un 'shitstorm' à chaque visuel ?"

Son collègue parisien Aymeric Caron (apparenté LFI) a aussi demandé de "tenir compte du fait que chaque membre du groupe est impacté, une fois de plus, par ces communications catastrophiques, qui se multiplient".

Des dérapages antisémites à répétition

La liste des polémiques associant La France insoumise à l’antisémitisme ne cesse en effet de s’allonger. Le militant Jonas Pardo, cofondateur du collectif de juifs de gauche Golem, les a recensés dans un billet de blog publié dans "Le Club de Mediapart" en juin 2024, les classant par catégories. Jean-Luc Mélenchon est l'auteur de l'essentiel de ces sorties, dont voici quelques exemples.

En juillet 2020, interrogé sur BFMTV par une journaliste qui lui demande si les "forces de l’ordre doivent être comme Jésus sur la croix qui ne réplique pas", Jean-Luc Mélenchon répond en mentionnant le stéréotype du peuple juif déicide : "Je ne sais pas si Jésus était sur la croix, mais je sais que, paraît-il, ce sont ses propres compatriotes qui l’y ont mis."

À lire aussiHommage aux victimes du 7 octobre : La France insoumise à nouveau exclue de "l’arc républicain"

En juin 2022, les candidates insoumises aux élections législatives à Paris, Danièle Obono et Danielle Simonnet, accueillent durant leur campagne l’ancien chef du Labour Jeremy Corbyn, lui-même accusé de complaisance avec l’antisémitisme au sein du Parti travailliste britannique.

Le 22 octobre 2023, après un rassemblement de soutien à Paris au peuple palestinien et alors qu’au même moment, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, effectue un voyage en Israël après l’attaque du 7-Octobre perpétrée par le Hamas, Jean-Luc Mélenchon est accusé de reprendre le terme "camper", utilisé dans la littérature antijuive des années 1930 pour décrire des juifs n’ayant aucune considération pour le pays dans lequel ils sont installés : "Voici la France. Pendant ce temps, Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français !"

Le 18 avril 2024, Jean-Luc Mélenchon, interdit de conférence par l’université de Lille, compare son président Régis Bordet au nazi Adolf Eichmann, responsable de la mise en œuvre de la "solution finale", relativisant ainsi les crimes contre l’humanité de la Shoah.

Quelques jours plus tard, le 29 avril 2024, Jean-Luc Mélenchon publie une tribune dans le média officiel de LFI, L’Insoumission, critiquant les positions du socialiste Jérôme Guedj en le renvoyant à "la laisse de ses adhésions", véhiculant ici le stéréotype de la double allégeance supposée des juifs.

Puis, le 2 juin 2024, Jean-Luc Mélenchon parle, dans une note de blog, d’un "antisémitisme résiduel" en France, alors même que les actes antisémites explosent dans l’Hexagone depuis le 7-Octobre, avec 1 676 actes antisémites recensés en 2023 par le ministère de l’Intérieur contre 436 en 2022.

Stratégie du "dog whistle"

Pour certains, l’abondance de ces propos est tout sauf due au hasard ou à de quelconques dérapages. Le socialiste Jérôme Guedj, ancien proche de Jean-Luc Mélenchon, affirme ainsi à l’AFP qu’il s’agit d’une "stratégie assumée de transgression" dirigée vers "un électorat arabo-musulman" supposé "sensible à ce type de clin d'œil antisémite".

Cette tactique porte un nom : le "dog whistle" ou "appel du pied". Il s’agit en politique de tenir des propos ou de faire des références que seuls certains initiés pourront comprendre, tandis que le reste de la population n’y prêtera pas attention.

Ainsi, lorsque le député insoumis David Guiraud publie, le 1er janvier 2024 sur X, une image du manga "One Piece" en qualifiant l’Observatoire juif de France (OJF) de "dragons célestes", le message peut paraître insignifiant, semblant simplement se référer aux personnages du célèbre manga. Mais cette appellation est aussi utilisée depuis longtemps par les antisémites pour évoquer les juifs sur de nombreux forums en ligne ou sur les réseaux sociaux, échappant ainsi à la modération.

À lire aussi"Sentiment de submersion" migratoire : quand François Bayrou reprend les thèses de l'extrême droite

Lorsqu’ils acceptent de reconnaître une erreur, comme pour le visuel ciblant Cyril Hanouna ou le message faisant référence aux "dragons célestes", les insoumis plaident l’accident ou l’ignorance. David Guiraud avait notamment supprimé son post et s’était justifié en expliquant que les dragons célestes sont "une alliance militaire de gens puissants qui écrasent les autres". "Ils ne sont pas détestés pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font aux autres. Mais je ne veux heurter personne donc je préfère supprimer", avait-il conclu.

De même, Jean-Luc Mélenchon a expliqué dans une interview à Orient XXI, publiée le 7 décembre 2023, que ses propos sur Yaël Braun-Pivet faisaient référence au "campisme", un "concept courant" du temps de la Guerre froide "qui avait le sens d’un alignement sans faille à un des deux blocs, celui de l’Est ou celui de l’Ouest". "Je voulais souligner ma protestation contre le caractère militaire de sa démarche, a-t-il dit. Que le mot camp pouvait être un vocable antisémite ne m’a pas effleuré une seconde !"

Une défense difficile à accepter pour Robert Hirsch. "L’utilisation par Jean-Luc Mélenchon et certains insoumis des codes antisémites existait déjà avant le 7-Octobre, mais on constate une accélération depuis l’attaque du Hamas et le déclenchement dans la foulée des bombardements israéliens, note l'historien. Ce sont des déclarations qui jouent sur l’ambiguïté."

"À l’extrême droite se trouve le vrai antisémitisme"

Les insoumis contestent régulièrement les accusations d’antisémitisme dont ils sont la cible en dénonçant une "police des mots" et rappellent qu’aucun de ses membres n’a été condamné par la justice, contrairement à ceux de l’extrême droite.

"Pourquoi passe-t-on sept jours sur un visuel qui a été retiré et qu’il n’y a pas une seule question posée à Marine Le Pen et Jordan Bardella sur les deux groupes Facebook dans lesquels figurent quinze députés du Rassemblement national et qui appellent au meurtre d’Emmanuel Macron, à exploser des mosquées, à tuer des personnes exilées, avec des photos de femmes voilées sur lesquelles est inscrit 'Hitler s’est trompé d’ethnie à exterminer', avec aussi des propos antisémites ?", a interrogé Mathilde Panot mardi matin à l’Assemblée nationale, rappelant que c’est "à l’extrême droite [que] se trouve le vrai antisémitisme".

À lire aussiEn marchant contre l’antisémitisme, Marine Le Pen fait un pas de plus vers sa normalisation

"Mais est-ce le seul antisémitisme existant ?", interroge Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l'University College de Londres, dans une tribune publiée le 14 mars dans Le Nouvel Obs. "Il existe aussi un antisémitisme allusif, euphémisé, qui repose sur des dénis, des tropes seulement déchiffrables par un public averti ou des dénigrements, qui créent un climat d’hostilité, voire de haine, à l’égard des juifs. C’est dans cet espace qu’il faut saisir et déchiffrer les accusations d’antisémitisme adressées à LFI."

Jean-Luc Mélenchon, dimanche midi, comme Mathilde Panot mardi matin, préfèrent accuser l’extrême droite et ses relais médiatiques d’orchestrer la polémique sur le visuel de Cyril Hanouna, plutôt que d’initier la moindre remise en question. Pourtant, plusieurs camarades de route des insoumis, anciens et actuels, se sont exprimés pour alerter le mouvement sur ce qu’ils considèrent comme un vrai problème, susceptible de faire perdre la gauche en 2027.

"L'indifférence à l'égard de l'antisémitisme n'est pas une option", a notamment écrit sur X la députée et ancienne insoumise Clémentine Autain. "Quand on est de gauche et que l'on veut combattre l'extrême droite, on est irréprochable dans la lutte contre l'antisémitisme, on ne charrie jamais son imaginaire. Et si on faillit, par ignorance ou par méprise, on le reconnaît, et ensuite on fait mieux." Son appel ne semble pas avoir été entendu pour le moment.