Les infox de l'Histoire : "Une rumeur qui a la vie dure : le nuage de Tchernobyl s'est arrêté à la frontière"
La "fable" du nuage s'arrêtant à la frontière française a la vie dure, bien qu'aucune autorité n'ait jamais affirmé cela. Selon François-Marie Bréon, physicien, climatologue et porte-parole de l'Afis (Association française pour l'information scientifique), cette persistance s'explique par les mensonges initiaux des autorités soviétiques qui ont caché la catastrophe pendant trois jours, et par l'intérêt de certaines associations antinucléaires à semer la défiance envers les communications officielles concernant le nucléaire.
François-Marie Bréon détaille que les autorités soviétiques, habituées à l'opacité et craignant la responsabilité, ont tenté de dissimuler l'explosion du réacteur numéro 4 de Tchernobyl pendant trois jours, jusqu'à ce que la radioactivité soit détectée en Scandinavie. Concernant la France, il reconnaît une communication "assez mauvaise" en 1986, notamment par manque d'outils modernes comme internet. Cependant, il réfute l'idée d'un mensonge délibéré de l'État. Il souligne que le Professeur Pierre Pèlerin, directeur du SCPRI (Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants), n'a pas caché l'arrivée du nuage, comme en témoigne un article de Libération dès le 2 mai 1986. Il explique que le célèbre bulletin météo de Brigitte Simoneta avec son "panneau stop" était une erreur de prévision et une interprétation "peut-être un peu abusive" de la présentatrice, qui a elle-même nié avoir reçu des ordres. De même, un communiqué du ministère de l'Agriculture jugé contradictoire était simplement "mal rédigé" et non un mensonge intentionnel.
De faibles niveaux de radioactivité reçus en France
François-Marie Bréon insiste sur le fait que le gouvernement n'a pas menti pour protéger le programme nucléaire français, car les niveaux de radioactivité reçus en France étaient faibles et non dangereux, comparables à la radioactivité naturelle présente dans certaines régions. Quant aux risques sanitaires, et spécifiquement les cancers de la thyroïde, il admet un lien avec la radioactivité et une forte augmentation de ces cancers autour de Tchernobyl. Néanmoins, pour la France, les études montrent que l'impact du nuage sur les cancers de la thyroïde est statistiquement "invisible", avec seulement une "très grande minorité" de cas potentiellement liés, l'augmentation générale s'expliquant davantage par l'amélioration des techniques de détection.
L'épisode met en lumière le sort tragique du Professeur Pierre Pèlerin, qui a été "littéralement assassiné par les médias" et "traîné dans la boue par un certain nombre d'associations antinucléaires". Bien qu'il ait été mis en examen pour "tromperie aggravée" en 2006, il a finalement bénéficié d'un non-lieu confirmé par la Cour de cassation en 2012. Malgré cette décision de justice et le fait que Pèlerin ait lui-même gagné un procès en diffamation, la rumeur persiste. M. Bréon déplore que la mise en examen fasse les gros titres, mais que le non-lieu soit souvent passé sous silence, illustrant la difficulté de dissiper les "infox" historiques.
Avec "Les infox de l'Histoire", la quatrième saison du podcast de la Fondation Descartes en partenariat avec franceinfo, voyagez à travers les époques au cœur des grands épisodes de désinformation. Patrice Gélinet et ses invités exposent et analysent les infox qui ont défrayé la chronique de l'antiquité à nos jours. Complotisme, désinformation, rumeurs, calomnies, emballements médiatiques… Une quatrième saison de huit épisodes pour décrypter les mensonges de l'Histoire.
Journaliste : Patrice Gélinet | Réalisation : Somany Na | Prise de song et mixage : Guillaume Le Du | Attachée de production : Juliette Marcaillou | Documentaliste INA : Emilie Lacot | Une production de Radio France Studios