« Il suffit d’écouter les femmes » : un documentaire qui donne la parole à celles et ceux qui ont pratiqué l’avortement avant la loi Veil

Comment est né le projet de ce documentaire ?

L’une des missions de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) est d’organiser des grandes campagnes d’entretiens patrimoniaux avant que les témoins d’une époque ne disparaissent. Au premier semestre 2022, lors d’une réunion d’échange à l’INA, nous nous sommes posé la question de ce qu’il était important de collecter comme parole.

Nous avons identifié l’anniversaire des 50 ans de la loi Veil à venir, dans un contexte de remise en question du droit à l’IVG. En Pologne notamment, mais aussi en ligne, sur les réseaux sociaux. En France, on assiste à des mouvements animés par la jeune génération qui contestent le droit à l’avortement.

Les débats en ligne sont réellement virulents sur cette question. Donc cela nous est apparu comme une évidence de devoir rappeler ce que voulait dire avorter pour les femmes d’avant 1975. Pour l’INA, il s’agit réellement d’un acte fort : désormais, pour des siècles, ces témoignages seront conservés et transmis aux générations futures.

Quelle était la matière à votre disposition ?

Les archives audiovisuelles existantes ne racontaient pas ce que c’était d’avorter, elles racontaient les sujets politiques. Il n’y avait pas dans les documents de l’INA de témoignages directs de femmes, d’hommes, de professionnels de santé ayant vécu des avortements. Nous avons donc lancé un appel à témoignages sur nos réseaux sociaux et dans la presse quotidienne régionale. Nous avons reçu près de 400 réponses.

Au total, nous en avons finalement enregistré 79. Il y a eu une difficulté particulière sur l’Outre-mer, car l’histoire de l’avortement y est encore plus taboue, même si, finalement, nous avons réussi à obtenir des témoignages. Notre volonté était de montrer que toutes les classes sociales sur l’ensemble des territoires français étaient concernées. Ce sont des récits individuels mais qui constituent une histoire collective.

Que révèle ce documentaire ?

Ce qui est le plus frappant, c’est l’absence totale à l’époque d’informations sur la sexualité et l’accès à la contraception, voire de son existence. Par ailleurs, le projet global de l’INA est toujours de recontextualiser les témoignages. Le documentaire raconte aussi la France d’avant 1975 : corsetée par la religion, clivée et profondément inégalitaire pour les femmes.

Mais une de ses forces est aussi qu’il fait la lumière sur un aspect méconnu : les violences et agressions sexuelles commises par des professionnels de santé sur ces femmes au cours de leurs avortements clandestins. La concordance de nombreux témoignages sur ce point montre qu’il ne s’agit pas de cas isolés.

Quelle résonance espérez-vous ?

Avec ce projet éditorial global, nous nous adressons à différentes générations. Nous avons donc décliné ces témoignages sous différentes formes, en podcast par exemple, et nous réfléchissons aussi à des formats pour les réseaux sociaux.

Le documentaire va par ailleurs faire l’objet de plusieurs projections dans les établissements scolaires et nous mettons à disposition des enseignants des outils pédagogiques pour le présenter, notamment via la plateforme Lumni. Nous espérons aussi susciter des conversations dans les foyers, car cette histoire n’est pas encore totalement partagée, des tabous persistent et ce droit est quotidiennement attaqué.

Il suffit d’écouter les femmes, France 5, 21 h 5, mardi 14 janvier 2025.

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