Au pied du château d’Amboise, des habitants excédés par la crise du rempart qui menace de s’effondrer

Lundi 14 avril, les panneaux interdisant l’accès d’une partie de la rue Victor-Hugo à Amboise ont été tagués. Le geste est révélateur du profond agacement d’une partie des habitants et commerçants, qui ne peuvent rentrer chez eux depuis le 31 janvier. Depuis deux mois et demi et la détection d’un glissement de terrain, une partie des remparts sud-est du château d’Amboise menace de s’effondrer sur les habitations en contrebas. Des travaux ont été lancés en urgence pour stabiliser l’édifice mais ils ne s’achèveront pas avant le 28 juin.

« Vous imaginez ? Ils ne peuvent même pas récupérer des vêtements », compatit un employé du Café des Arts, situé juste en bordure du périmètre de sécurité. Derrière les grilles de chantier fermant l’accès à la rue, le restaurant La Terrasse dort, figé depuis plus de deux mois. Le patron Jacky Rapicault tente de maintenir à flot son activité. Son équipe et lui ont repris leur activité dans un autre local, sur les quais de Loire. « On a repris un ancien restaurant qui était fermé. C’est temporaire, jusqu’à fin août. »

Avec l’indemnisation négociée avec l’assurance du château, Jacky Rapicault espère tenir le choc. Mais l’incertitude demeure : « Je suis toujours en attente d’une validation définitive de l’expert. Mon découvert augmente, c’est tendu. On ne sait même pas quand on pourra retourner dans nos locaux. En avril, on nous avait parlé de fenêtres d’accès. Rien ne s’est fait. »

L’assurance me demande des justificatifs… que je ne peux pas récupérer.

Pascal Pellen, habitant de la rue Victor-Hugo.

Pascal Pellen, artiste peintre et locataire d’une petite galerie de la rue Victor-Hugo, est lui aussi dans l’impasse. « Je ne peux plus accéder à mon atelier, ni vendre mes toiles. L’assurance me demande des justificatifs que je ne peux pas récupérer. Heureusement que ce n’est pas mon activité principale. » Derrière les rideaux tirés et les volets fermés, ce sont près de cinquante résidents qui vivent un déracinement prolongé.

Pascal Duhard, hébergé temporairement par l’un de ses voisins, raconte : « On a été logé à l’hôtel durant quelques jours, le temps de trouver une solution. On a tout racheté : vêtements, affaires de toilette. Moi, je m’en sors, mais d’autres sont bien plus touchés que moi. Le château nous a fait cadeau de 200 euros au début, ça fait 40 euros par mois si la fermeture dure jusqu’au 28 juin. » La longueur des procédures administratives avec les assurances ne pèse pas uniquement sur les habitants. Le château lui-même reste dans l’incertitude. Le montant des travaux pour sécuriser le rempart s’élève à 2,2 millions d’euros.

C’est la première fois qu’on fait face à un phénomène de glissement.

Marc Métay, directeur du château d’Amboise.

Patrice Poidevin, qui habite à dix mètres de la zone condamnée, ne décolère pas. « Le château savait que ça allait arriver. Il y avait des fissures et des instruments de mesure avaient été posés. » En 2021, une première alerte avait été donnée. Constatant des mouvements dans la structure des remparts, un expert judiciaire avait été commissionné et il avait conclu « à un risque grave mais non imminent », selon la mairie. « Il semble que la pluviométrie exceptionnelle de cet automne a amplifié le risque de ruine, engorgeant le remblai », explique-t-on.

La pluviométrie est également pointée du doigt par le château, propriété de la Fondation Saint-Louis. Selon Marc Métay, directeur du site, l’affaissement des remparts reste « un phénomène naturel, imprévisible, lié à une pluviométrie exceptionnelle ». « C’est malheureusement un risque connu dans la région », ajoute-t-il.

Aucun risque imminent selon le château

Les faiblesses du rempart sont connues. Depuis des années, ses gonflements et rétractations, ses «vibrations», sont mesurés et surveillés. « Mais c’est la première fois qu’on fait face à un phénomène de glissement », assure le directeur du château. En janvier, la base du rempart s’est dérobée, pas au point de s’effondrer mais suffisamment pour inquiéter. Selon la direction du château, des travaux au niveau du rempart étaient bien prévus avant de constater les désordres de cet hiver. Mais aucune date n’avait été arrêtée. « Il n’y avait aucun risque imminent », précise Samuel Buchwalder, en charge de la communication du château.

La situation irrite d’autant plus les habitants que les informations leur parviennent au compte-goutte. Dans le quartier Victor-Hugo, on peste contre ce château qui a « tout de suite communiqué pour annoncer qu’il reste ouvert aux visiteurs » sans avoir un mot pour les Amboisiens. « Les informations nous arrivent principalement par les journaux », déplore Patrice Poidevin.

Prise entre la ville basse et son château royal, la mairie d’Amboise tente de jouer les médiateurs. Quatre réunions, avec les représentants du château et les habitants, ont été organisées. « Un guichet unique a été mis en place pour accompagner les habitants », explique Stéphane Delbarre, directeur de cabinet du maire. La ville prend en charge les relogements temporaires, comme au village vacances VVF, tout en sollicitant le Fonds d’aide au relogement d’urgence.

Des relogements pris en charge par la mairie

La mairie, en revanche, impute l’entretien des remparts et la gestion des risques d’effondrements au propriétaire du château. « C’est la Fondation Saint-Louis, propriétaire du château, qui assure le suivi du rempart », précise Stéphane Delbarre.

Si la responsabilité du château semble claire pour la municipalité, le sujet reste sensible pour une partie des habitants, bien conscients de l’importance du monument et ses 400 000 visiteurs annuels. Pour autant, certains riverains refusent de rester passifs et envisagent de créer un collectif. Ils souhaitent faire toute la lumière sur les causes de l’incident, estimant que la situation aurait pu être évitée. « Ce n’est pas dans ma nature d’aller voir un avocat, mais si les assurances ne payent pas, il faudra bien se défendre », confie un habitant.