REPORTAGE. "On a quand même un produit abordable" : au Canada et au Mexique, entrepreneurs et politiques se préparent aux droits de douane voulus par Donald Trump
Chose promise, chose due : Donald Trump engage son bras de fer commercial avec le Mexique, le Canada et la Chine - les trois premiers partenaires commerciaux de Washington. À compter de samedi 1er février, une partie des produits importés de ces pays seront soumis à de nouveaux droits de douane. Ils s'élèvent, en théorie, à 25% pour le Canada et le Mexique et concernent notamment les semi-conducteurs, l’acier, le cuivre, les produits pharmaceutiques ou encore le pétrole et le gaz. Et les conséquences se feront sentir pour les États-Unis ainsi que leurs voisins nord-américains.
Donald Trump l’a confirmé vendredi depuis le bureau ovale, balayant toute rumeur autour d’un possible retour en arrière de dernière minute. "On a de gros déficits avec ces trois pays, et la Chine envoie des quantités massives de Fentanyl qui tue chaque année des centaines de milliers de personnes - les deux autres pays permettent à ce poison de passer la frontière, a affirmé le président américain. On augmentera, peut-être beaucoup, ces taxes. On ne cherche pas à s’entendre, on va juste voir comment la situation évolue."
Une balance commerciale déficitaire, les ravages du fentanyl et des frontières trop peu surveillées, sont donc les raisons de cette punition commerciale. Une fois de plus, le milliardaire a choisi d’utiliser les droits de douane comme une arme, même si les détails de cette stratégie sont encore vagues. Quels produits exactement seront taxés ? Vendredi, le président évoquait l’acier, les semi-conducteurs ou le pétrole canadien. Quand cela entrera en vigueur, à quelle hauteur et surtout grâce à quels moyens légaux ? Son administration devra notamment contourner l’accord de libre-échange qui protège, en théorie, le Mexique et le Canada.
Cette décision aura d’imprévisibles effets pour l’économie des pays visés et pour les États-Unis. Donald Trump prédit que cette stratégie lui permettra de renflouer les caisses fédérales. Sauf qu’en réalité, une guerre commerciale avec les trois pays visés pèserait nécessairement sur l’économie américaine. Le Canada, le Mexique et la Chine comptent, en effet, pour un tiers des biens et services importés aux États-Unis. Or, avec ces droits de douane, les entreprises pourraient renoncer à certains produits, ce qui entraînerait des pénuries, ou augmenter les prix, ce qui freinerait la consommation et l’économie nationale. La croissance pourrait ainsi se contracter de plus d’un point de pourcentage, selon Oxford Economics.
Au Canada, les entreprises s'interrogent sur leur avenir
Côté canadien, Donald Trump cible particulièrement les secteurs de l’aluminium, du cuivre et de l’acier. Des tarifs sur le pétrole pourraient être mis en place un peu plus tard. Pour l’instant, le Canada réserve sa réponse, mais les entreprises exportatrices s’interrogent déjà sur leur avenir. "C’est énorme, notre marché est à 93% aux États-Unis", indique Nicolas Blais, le propriétaire de Beauce Atlas. Un de ses ouvriers est en train de souder une des poutres d’acier destinée au marché américain, à 1 heure de route. Dernièrement, le chef d'entreprise a accéléré la cadence de production pour les expédier dans des entrepôts aux États-Unis. "Malheureusement, on n’a pas été capables d’envoyer tout ce qu’on voulait, regrette-t-il, mais on sait que tout ce qu’on a envoyé avant minuit, on n’aura pas de droit de douane dessus."
Nicolas Blais mise sur la fidélité d’une partie de ses clients pour surmonter la crise : "On a quand même un produit qui est très abordable à cause du taux de change, on a une proximité avec eux depuis 15 à 20 ans. S’il y a des droits de douane cette nuit, demain ou après-demain, ils sont prêts à les assumer. Mais il y a tout de même 50% de risque avec les autres clients qui ne veulent pas payer ces droits de douane là. Mais on est confiants que cela va durer 3 à 6 mois, peut-être 9 mois.
"On ne pense pas que cela va s’éterniser."
Nicolas Blais, chef d'entreprise canadienà franceinfo
D’autres entreprises ont choisi de délocaliser une partie de leur production aux États-Unis. Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, lui annonce la couleur : "Nous allons aussi réagir. Notre réponse est prête. Une réponse déterminée, énergique, mais raisonnable et immédiate." Une guerre commerciale s’amorce donc entre deux alliés de longue date.
Le Mexique veut garder la "tête froide"
Au Mexique aussi, la hausse des droits de douane va bien entendu avoir des conséquences. Le pays réalise 80% de son commerce extérieur avec les États-Unis, son principal partenaire commercial. Le ministre de l’Économie mexicain parle de ces frais comme d’une erreur stratégique qui aura un impact principalement sur les Américains avec l’augmentation des prix.
Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, le Mexique veut garder la "tête froide", selon les termes de la présidente Claudia Sheinbaum. Vendredi, alors que la décision était en train de se préciser, la cheffe d’État a dit que le pays était prêt, se voulant une fois de plus rassurante et rationnelle : "Nous avons un plan A, un plan B et un plan C. Mais c’est très important que les Mexicains sachent que nous allons toujours défendre la dignité de notre peuple, nous défendrons le respect de notre souveraineté et un dialogue d’égal à égal."
"Nous allons toujours maintenir le dialogue."
Claudia Sheinbaum, présidente mexicaine
Avec cette décision, le président américain veut stopper la migration et le trafic de drogue. Ces derniers mois, le Mexique a fait des efforts considérables sur le plan sécuritaire et même la Maison blanche l’a reconnu. Quelque 10 000 personnes ont été arrêtées et plus de 90 tonnes de drogues ont été saisies, des records. Mais Donald Trump ne s’intéresse pas aux chiffres. L’instauration de ces frais montre que les négociations sont toujours ouvertes entre les deux gouvernements. Sur le plan migratoire, même si le Mexique consent à recevoir ses concitoyens expulsés, la question des personnes des autres nationalités est encore floue.