Gotlib, œuvre complète 1967 : le rire dans tous ses états
1967, année Gotlib. L’ouvrage, réalisé avec des planches restaurées, rappelle l’effervescence créatrice de celui qui érigea l’humour décalé, l’absurde, la satire et une joviale subversion en majesté. En 240 pages, l’ouvrage offre une immersion dans l’œuvre et la vie de celui qui a introduit l’absurde, l’autodérision et une joviale subversion dans le neuvième art. Quel plaisir de suivre les aventures du flegmatique Gai-Luron et de son acolyte Jujube. De lire l’actualité facétieuse des Dingodossiers une rubrique qui traite de sujets de la vie quotidienne créée avec le génial Goscinny où germaient déjà tous les savoureux ingrédients de La Rubrique-à-brac, un monument de la BD qu’on ne présente plus. Agrémentée de nombreux dessins et illustrations inédits et de planches restaurées, cette intégrale chronologique, met en lumière la progression d’un talent qui contribua largement à ériger la bande dessinée au rang de neuvième art. A. V.
Sous la direction de Jean-Louis Gauthey et avec l’aide d’Ariane Gotlieb, Dargaud / Fluide Glacial, 240 pages, 34,90 euros.
Lovers’ Kiss : tourments d’amour à Kamakura
Sur la plage de Kamakura, Rikako tombe sous le charme de Tomoaki, un surfeur à la réputation sulfureuse. Au lycée, les rumeurs vont bon train et perturbent leur idylle naissante… Paru en 1995 au Japon mais jusqu’ici inédit en France, Lovers’ Kiss d’Akimi Yoshida (Banana Fish) raconte les tourments amoureux de six adolescents. Le récit développe ainsi trois coups de cœur – hétérosexuel, gay puis lesbien – en évitant habilement les clichés et toute facilité narrative, entre frustrations intériorisées et prises d’initiative aux conséquences imprévues. Au fil des révélations sur les personnages, qui se fréquentent tous, ce titre drôle et sensible tisse un portrait saisissant d’une jeunesse fragile mais courageuse, poussée trop vite vers l’âge adulte. Un manga incontournable qui annonçait la série Kamakura Diary (adaptée au cinéma par Kore-eda), dont la suite, Les Cent Vues d’Utagawa, sera publiée en 2026. A. B.
Akimi Yoshida, traduit du japonais par Nathalie Lejeune, Panini, 376 pages, 16,99 euros.
La Nuit retrouvée : les tendres confessions d’une mère sans histoire
Dès la première planche, le lecteur est mis dans l’ambiance: une jolie maison landaise au milieu des pins baignée dans la lumière chaleureuse d’une fin de journée estivale. Une bulle s’échappe de la toiture en tuiles creuses : «Maman?» À quelques minutes de passer à table, c’est Apocalypse Now dans la cuisine. Y a-t-il «assez de tomate», ne serait-ce pas «un peu sec ?» Au milieu de la tempête, une mère tient la barre avec sûreté et le sourire de celles qui savent où elles vont. «Regarde la taille des morceaux d’oignon de Max!» s’indigne sa fille... Tout le monde met son grain de sel. Et c’est ça qui fait le charme d’une soirée d’été en famille. Après le dîner, dans l’intimité d’une nuit landaise, une mère de famille modèle «qui a tout bien fait dans la vie» finit par se confier à sa fille. Sexagénaire, Hélène a trois enfants qui ont quitté la maison. Divorcée depuis des années, elle aime l’ordre et promène son chien dans la forêt le soir à la veillée... Au cœur de ce récit magistralement dessiné par Pénélope Bagieu, se fait jour un secret de famille. Une surfeuse australienne libre de toute attache qui épate son monde lors d’une compétition de surf à Hossegor, des enfants extatiques, un premier été à quatre sans le mari... Avec ce récit sensible plein de finesse, de tendresse, ainsi qu’une pincée de nostalgie, Lola Lafon et Pénélope Bagieu unissent leurs talents pour évoquer tout en douceur les mouvements du cœur, les désirs et la sexualité au féminin, comme le flux des marées sur le sable des souvenirs. O. D.
La Nuit retrouvée, Gallimard, 210 pages, 24,90 euros.
Coffret Les Clandestines de l’Histoire : combats de femmes
Avec José-Louis Bocquet, Catel forme un tandem qui met en lumière de grands portraits de femmes qui ont bravé les considérations sexistes de leur époque pour s’imposer dans un monde réservé aux hommes et reléguées dans les oubliettes du récit collectif. Leur série Les Clandestines de l’Histoire comblent cette injustice. Liberté sexuelle pour Kiki de Montparnasse, droit des femmes pour Olympe de Gouges, adoption d’une douzaine d’enfants venus du monde entier qui forment sa tribu joliment nommée « arc-en-ciel » pour Joséphine Baker… Ces femmes au caractère bien trempé ont illustré chacune à leur manière les valeurs chères à la République, liberté, égalité, fraternité. Dans leurs romans bio-graphiques, les auteurs retracent avec brio la dimension romanesque de ces héroïnes. Les éditions Casterman ont réuni leur histoire dans un élégant coffret qui offre trois albums cartonnés aux couvertures chatoyantes. Avec en prime, un superbe carnet graphique révélant les coulisses d’une création rehaussée par le trait délicat de la dessinatrice. Une merveille. A. V.
Passer la publicitéCatel et Bocquet, éditions Casterman, 1464 pages, 59 euros.
Les Carnets de Stamford Hawksmoor : un polar uchronique mené tambour battant
Dans une Angleterre uchronique sous domination française depuis deux siècles, l’indépendance approche et les ambitions politiques s’aiguisent. C’est dans ce contexte explosif que l’inspecteur Stamford doit enquêter sur la mort de son propre frère… Les amateurs de Sherlock Holmes se délecteront de ce polar passionnant au style sépia délicieusement désuet. Aperçu dans l’excellente série Grandville du même auteur, notre policier à tête d’aigle rencontrera toute une galerie de personnages anthropomorphes aux travers très humains, des bas-fonds miséreux de Londres jusqu’aux lieux de pouvoir les plus corrompus. Saurez-vous flairer le ou les coupables ? Rythme haletant, souci du détail (quels décors !), dialogues cinglants... Le dessinateur anglais Bryan Talbot – récompensé d’un prix Eisner en 1996 pour L’Histoire d’un vilain rat, récemment réédité en français – n’a rien perdu de son talent, à 70 ans passés. A. B.
Bryan Talbot, traduit de l’anglais par Patrick Marcel, Delirium, 200 pages, 30 euros.
Undertaker tome 8 Le monde selon Oz : Le bon, les brutes et la diablesse
Quel plaisir de retrouver un western en bande dessinée qui possède le souffle épique de la saga Blueberry, véritable maître-étalon en la matière. Le huitième tome de la série Undertaker possède cette densité narrative rare, et cette amplitude graphique qui font de Ralph Meyer le digne héritier de Jean Giraud. Le monde selon Oz vient clore un diptyque mettant en scène un personnage féminin diabolique, dont on se souviendra longtemps. Retour à Eaden, petite ville du Texas sortie ruinée de la guerre de Sécession. Sur ces braises fumantes, Sister Oz, gourou de la ligue de la vertu, a fini par convaincre une population désespérée qu’elle retrouverait son honneur en faisant sa propre justice... Pour cela, il convient d’empêcher la jeune Eleonor Winthorp d’avorter. Tous les moyens sont bons, y compris celui de tuer le médecin qui s’apprêtait à pratiquer l’opération. Pourtant, un étrange croquemort accompagné de son vautour se dresse contre Sister Oz, souhaitant permettre à Eleonor de choisir son destin : Jonas Crowe... Entre l’atmosphère insurrectionnelle de Règlement de compte à OK Corral et la violence cathartique des westerns de Peckinpah, le brillant et complexe scénario de Xavier Dorison se fraie un chemin. Notre cher croquemort justicier Jonas Crowe affronte non sans mal une diablesse qui se pare de toutes les vertus religieuses pour un album exceptionnel, aussi puissant qu’un coup de feu dans la Sierra. O. D.
Undertaker - Tome 8 - Le Monde selon Oz, de Ralph Meyer et Xavier Dorison, Dargaud, 64 pages, 17,95 euros.
Les Sentiers d’Anahuac : sauver la culture aztèque de l’oubli
Dans le Mexique du XVIe siècle, un jeune Indien et un prêtre franciscain se lancent dans un projet démesuré étalé sur cinq décennies : aller à la rencontre des autochtones pour conserver une trace écrite de leur culture en voie de disparition après la conquête européenne et l’évangélisation forcée. Cartes, glossaire nahuatl et espagnol, sources détaillées… Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette bande dessinée – coscénarisée par l’historien Romain Bertrand – s’avère extrêmement bien documentée. Sans toutefois tomber dans l’austérité puisque les personnages ont été soigneusement épaissis avec un bel équilibre entre souffle romanesque et vraisemblance historique. L’aventure se dévore d’une traite ! Le coup de génie du dessinateur Jean Dytar est d’avoir su mixer une double influence graphique pour proposer un récit propre au neuvième art : les gravures de la Renaissance côtoient ainsi l’esthétique des « scribes-peintres » aztèques. Ces derniers utilisaient une panoplie de glyphes représentant des êtres vivants, des objets, mais aussi des sons, des actions et des idées ! Un terrain de jeu fascinant unifié par une ligne claire splendide. Les membres de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD) ne s’y sont pas trompés : ils viennent de remettre aux Sentiers d’Anahuac leur grand prix annuel. A. B.
Romain Bertrand et Jean Dytar, Delcourt, 160 pages, 34,95 euros.
Madeleine, Résistante - tome 4 - L’ange exterminateur : la guerre à hauteur de combattante
Pour conter la suite des aventures de la bouillonnante résistante Madeleine Riffaud, le trio Bertail, Morvan et Riffaud (hélas décédée le 6 novembre 2024) replonge vigoureusement dans le Paris occupé de la Seconde guerre mondiale. L’intrigue reprend le 24 août 1944. Madeleine - alias Rainer - et ses camarades FFI de la Saint-Just sont brusquement tirés de leur sommeil par un milicien embusqué sur les toits parisiens. Une innocente gamine y perd la vie, ce qui rend furieuse notre chère héroïne qui se lance rageusement à sa poursuite... Elle reçoit ensuite une mission inattendue : éliminer un traître dont la réputation de résistant est pourtant intacte au sein des FFI. Une épineuse mission d’« ange exterminateur » qui aura tellement marqué Madeleine Riffaud qu’elle gardera jusqu’au bout le secret de l’identité du traître. À travers ce quatrième tome, Bertail et Morvan font revivre la libération de Paris à hauteur de combattante. Dans un élégant camaïeu de bleu, Dominique Bertail dessine à merveille ce passionnant nouvel épisode de la vie de Madeleine. On est toujours aussi hypnotisé, conquis et charmé. Une grande BD… O. D.
Madeleine, résistante T4 - L’ange exterminateur, de Madeleine Riffault, Jean-David Morvan et Dominique Bertai, Dupuis, 128 pages, 25 euros.
Weekly : naissance d’un fouineur
Se replonger dans l’univers du superbe polar animalier Blacksad à travers les débuts de Weekly dans le photojournalisme de faits divers ne manque pas de saveur. Ce personnage haut en couleur, acolyte du chat détective un brin désabusé imaginé par le tandem espagnol Juan Diaz Canales (scénariste) et Juanjo Guarnido (dessinateur), est l’une des figures saillantes de la saga. Celui qui nous enchante par sa gouaille et son humour depuis son apparition dans le tome Arctic Nation, méritait bien son spin-off. L’album nous plonge dans le passé et la première enquête résolue de la fouine d’origine russe, prénommée alors Dustin Kalisnowszczyzna, qui cherche à percer dans la presse. Opiniâtreté, vivacité, curiosité insatiable, casquette vissée sur la tête et hygiène douteuse... toutes les caractéristiques du héros sont réunies pour cette enquête qui nous plonge dans le New York de l’après-guerre. L’ambiance si particulière de la série originelle est parfaitement relayée par le trait de l’Italien Giovanni Rigano. A. V.
Juan Diaz Canales et Giovanni Rigano, Dargaud, 64 pages, 17,95 euros.