Amnesty pointe une dérive répressive en France à l'encontre des défenseurs de l’environnement
Une manifestation écologiste contre l'autoroute A69, organisée par plusieurs collectifs dont les Soulèvements de la Terre, vient d'être interdite par la préfecture du Tarn en raison de risques de troubles à l'ordre public. Pour le préfet Laurent Buchaillat, qui a proscrit "toute manifestation, attroupement ou rassemblement revendicatif contre le projet autoroutier" sur 17 communes du département, de jeudi 3 à lundi 7 juillet, "le caractère violent de ce rassemblement ne fait aucun doute".
En face, les militants fustigent une répression systématique. "Nous commençons à être habitué·es du même storytelling de la part des préfectures", indiquent les organisateurs, qui dénoncent une volonté de "criminaliser en amont les luttes et les militant·es, et (d')utiliser la même rhétorique pour justifier le déploiement d'une répression intense". "Par une telle interdiction, le gouvernement porte une atteinte absolument inacceptable à un mouvement de contestation massif et populaire", ajoutent-ils.
Hasard du calendrier, cette polémique intervient alors qu'Amnesty International a publié, jeudi 3 juillet, un rapport alarmant sur la criminalisation croissante en France du droit de manifester des défenseurs de l'environnement. L'ONG alerte sur la multiplication des attaques de l'État français spécifiquement à l'encontre des militants écologistes.
Une tendance mondiale, affirme Amnesty, à laquelle ce pays européen n'échappe pas. "Il est inquiétant de voir que la France, qui avait été moteur il y a dix ans dans la lutte pour le climat, est aujourd'hui un exemple probant de la répression des défenseurs de l'environnement", alerte Margot Jaymond, chargée de plaidoyer justice climatique. L'ONG dépeint "une véritable stratégie mise en place pour les réduire au silence".
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Dispositif policier et droit de manifester
Le rapport s'appuie notamment sur les chiffres de la coordination antirépression de l'autoroute A69, qui rassemble plusieurs collectifs opposés à ce projet controversé pour son impact environnemental. L'organisation recense des centaines de gardes à vue, 130 personnes poursuivies, 60 procès passés ou à venir, sept placements en détention, 44 personnes sous contrôle judiciaire et 27 interdictions de territoire entre février 2023 et août 2024. Des poursuites qui visent, pour l'essentiel, des actions non violentes : des militants perchés dans les arbres – surnommés "les écureuils" – pour empêcher les abattages ou des activistes enchaînés à des engins de chantier pour bloquer leur utilisation.
Amnesty dénonce aussi la répression des mobilisations en 2022 et 2023 contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), lors desquelles les forces de l'ordre ont utilisé des armes à létalité réduite (lanceurs de balles de défense) de façon jugée "disproportionnée". D'après le rapport, plus de 5 000 grenades ont été tirées en deux heures, quelque 200 manifestants ont été blessés – dont 40 grièvement – tout comme 47 gendarmes.
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Ces violences s'accompagnent d'un "arsenal législatif" qui "criminalise" les manifestants, affirme l'ONG, citant notamment la loi dite "anticasseurs" de 2019, ou encore la loi de 2021 "confortant le respect des principes de la République", dite "loi séparatisme", qui facilite la dissolution d'associations ou le retrait de financements.
Parmi les cas mentionnés figurent le mouvement Alternatiba, privé de subventions publiques, et le collectif des Soulèvements de la Terre, visé en 2023 par une tentative de dissolution jugée contraire au droit international.
Stigmatisation des militants écologistes
Amnesty alerte également sur une "rhétorique stigmatisante" à l'égard des activistes écologistes, qualifiés parfois d'"écoterroristes" par certains responsables politiques, comme Gérald Darmanin en 2023, quand il était ministre de l'Intérieur. "Ces discours créent un imaginaire fondé sur les affrontements et les violences", écrit l'ONG, qui souligne que cela "permet d'éviter de justifier la répression et les violences policières à l'encontre des défenseur·es de l'environnement".
Un constat partagé par Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS : "Depuis deux ou trois ans, un discours sur la radicalisation des militants écologistes s'installe, porté par le ministre de l'Intérieur et parfois relayé par les médias, qui contribuent à présenter le militantisme écologiste comme radical." Pourtant, souligne-t-elle, les actions menées ciblent essentiellement des biens matériels (bâtiments, infrastructures, équipements) et non des personnes. L'enjeu, selon elle, est donc de s'entendre sur la définition de la violence et de la non-violence.
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Sylvie Ollitrault, qui observe le militantisme environnemental depuis plusieurs générations, rappelle qu'il ne se limite pas aux opérations coups de poing. Certains continuent de s'investir dans des démarches plus classiques, menant des recours juridiques ou travaillant dans des structures institutionnelles. En parallèle, une partie du mouvement s'oriente vers la "désobéissance civile", "une forme de protestation non violente qui, bien que légitime aux yeux des militants, est souvent perçue comme radicale par les autorités ou les acteurs privés, en raison des troubles qu'elle peut provoquer à l'ordre public et des intérêts privés qu'elle peut venir déranger".
Une nouvelle génération de militants
Cet engagement dans la désobéissance civile prend racine dans une "déception généralisée", constate Sylvie Ollitrault. "Ce que disent les militants, c'est que vu l'urgence climatique, il faut prendre des mesures radicales. Il se disent désabusés par les réponses politiques traditionnelles, qu'il s'agisse du vote ou des grandes conférences internationales, car ils estiment que les États n'agissent pas à la hauteur des enjeux. Le temps politique leur paraît trop lent, alors même que l'urgence environnementale exige d'accélérer les décisions et les actions", analyse-t-elle.

Si les mouvements de désobéissance civile existent depuis les débuts de l'écologie, une nouvelle vague a émergé récemment. "Elle s'appuie sur une génération qui s'est socialisée avec les marches pour le climat, et qui ressent l'urgence climatique", explique la chercheuse. Ces actions se multiplient désormais dans l'espace public. "C'est sans doute ce qui effraie ou qui ‘réveille' les pouvoirs publics", conclut Sylvie Ollitrault.
Avec AFP