Un record d’ascension du mont Blanc pour sensibiliser au réchauffement climatique

Elle a patienté trois longues années, scrutant ciel et montagnes, neige et crevasses, se demandant quand est-ce que la météo et le réchauffement climatique lui laisseront une chance. Puis elle s’est lancée, le 17 juin 2023 vers 2h du matin depuis l’église de Chamonix. Ce jour-là, Hillary Gerardi, athlète américaine alors âgée de 36 ans, a battu le record féminin d’ascension du mont Blanc (7h et 25 minutes). Un exploit à plus d’un titre, accompli malgré les contraintes du réchauffement climatique et raconté dans le documentaire «Always Alive», réalisé par Davina Montaz-Rosset et diffusé à Montagne en Scène, festival itinérant de films de montagne.

Hillary Gerardi a dû opter pour un autre itinéraire, plus technique, que celui du précédent record. Et pour cause : il ne peut quasiment plus être emprunté en raison de la fonte des glaciers. «Emelie Forsberg, qui avait fait le record en 2018, était passée par l’itinéraire des Grands Mulets avec la Jonction, le Petit Plateau et le Grand Plateau», rappelle Davina Montaz-Rosset. Un chemin dont a aussi profité l’Espagnol Kilian Jornet pour le record masculin en 2013, aujourd’hui déconseillé car les risques de chutes de séracs y sont en constante augmentation. Gerardi l’a constaté de très près, presque trop.

Lors d’une expédition en reconnaissance, en avril 2023, l’Américaine raconte avoir croisé un couple d’alpinistes allemands qui se rendait au refuge des Grands Mulets. Le lendemain, elle a appris leur mort dans une chute de sérac. «La montagne est en train de se disloquer», résume la glaciologue Heïdi Sevestre, rappelant que «derrière ces glaciers, il y a des vies, des moyens de substance, des êtres humains. Chaque été, on s’attend à recevoir de l’eau fraîche et gratuite de ces glaciers. Ils sont devenus comme les châteaux d’eau du monde.» Une eau qui s’écoule jusque dans le Rhône, bien au-delà de la seule vallée de Chamonix.

«Alerter sur la fonte des glaciers» en transmettant «de l’émotion et de l’énergie»

L’accélération de la fonte des glaciers, conséquence directe du réchauffement climatique, «fait aussi monter le niveau des mers et a donc une répercussion sur de futures inondations», insiste Davina Montaz-Rosset, originaire de Belgique et qui vit en Haute-Savoie depuis 2012. Preuve de l’urgence, l’ONU a désigné 2025 comme «l’année internationale de la préservation des glaciers». Le documentaire «Always Alive» refuse pour autant de verser dans le dramatique.

Au cœur de ses prodigieux efforts d’alpiniste et de traileuse, Hillary Gerardi illumine un récit d’une demi-heure par sa bonne humeur débordante et son humour potache, se tapotant les fesses avec entrain avant de se laisser glisser sur la neige, ou bandant les muscles en se disant «forte comme un taureau» à 3h49 du matin, en pleine ascension. «C’est un chamois et moi je suis... un mouton», souffle, exténuée, Valentine Fabre, skieuse-alpiniste qui l’a accompagnée sur une portion du parcours, achevé par l’Américaine les larmes aux yeux au petit matin, effondrée sur les marches en pierre de l’église de Chamonix.

Hillary Gerardi lors de son ascension du mont Blanc en juin 2023. Sébastien Montaz-Rosset

«Alerter sur la fonte des glaciers à travers le record de Hillary, c’était un moyen de transmettre de l’émotion et de l’énergie pour que ça reste quelque chose de positif, tout en faisant passer des messages pour éveiller les consciences et donner l’envie au public de se poser des questions», éclaire Davina Montaz-Rosset. Les pistes pour agir sont nombreuses : réduire les trajets polluants, consommer local, manger moins de viande (selon diverses études, le bœuf pèse trois fois plus lourd que le porc qui pèse sept fois plus lourd que la volaille en termes d’émissions de gaz à effet de serre). Ou encore «manifester et signer des pétitions» afin d’inciter les pouvoirs publics à l’action, suggère la réalisatrice.

«La France fait partie des figures de proue européennes dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais reste une mauvaise élève sur les mesures d’adaptation», constatait en juillet dernier l’auteur d’un rapport de l’ONG Oxfam auprès de Télérama . «Chacun, en fonction de sa sensibilité et de ce qui est réalisable pour lui, peut aller dans ce sens, conclut Davina Montaz-Rosset. Pour cela, une prise de conscience est nécessaire, et pour ce faire, rien de tel que de s’émouvoir devant un beau film.» Et une considérable performance sportive.