«On dormait à huit dans une chambre. Sur Instagram, c’était un hôtel 5 étoiles». Un transat blanc, une piscine à l’eau turquoise, un cocktail posé sur le rebord. Sur le réseau social, Clara semble savourer un séjour chic dans un sublime resort australien. La légende est vague, les commentaires s’emballent. «Trop beau», «le rêve», «tu vis ta best life». Sauf qu’à ce moment-là, la jeune femme partage une chambre à huit dans une auberge de jeunesse. À 22 ans, elle passe un an en Australie. Pas en road trip de luxe, mais en année de césure, entre petits boulots, dortoirs surchauffés et petites galères.
Aucun mensonge direct, mais un flou savamment entretenu. «Je ne disais pas que j’y dormais… mais les gens le croyaient». Et le cas de Clara n’est pas isolé, d’après une enquête menée en juin par l’agence de voyages TripandCo auprès de plus de 2000 Français, ils sont 54 % à avouer mentir ou au moins enjoliver la réalité concernant leur hébergement de vacances... Là où seuls 9 % jouent la carte de l’honnêteté. Un tiers des personnes interrogées assument même ces petites exagérations comme «humaines» et socialement compréhensibles. Le mensonge semble ainsi être devenu un accessoire presque indispensable des vacances.
Passer la publicitéUne entreprise qui vend des vacances… fictives
Aux États-Unis, cette tendance a même donné naissance à une start-up : Fake A Vacation. Lancée en 2017 dans le Nebraska, l’entreprise proposait aux internautes de créer des photos de vacances. Au catalogue : Grand Canyon, plages hawaïennes ou encore rues de New York. Les clients envoyaient leurs images et recevaient des clichés montés dans des décors de rêve. Depuis, d’autres plateformes ont suivi. Peerspace propose par exemple des locations d’espaces atypiques pour des événements, tournages ou séances photos. Parmi les lieux les plus insolites proposés, de faux jets privés conçus pour recréer l’ambiance luxueuse d’un vol en classe affaires. Un décor d’opulence à portée de clic.
L’intelligence artificielle, nouvelle alliée des «fakecations»
Mais aujourd’hui, plus besoin de sortir le portefeuille. Créer des images hyperréalistes ou retoucher ses photos n’a jamais été aussi facile avec des outils gratuits basés sur l’IA permettant de transformer instantanément n’importe quel cliché en une scène idéale et souvent bien plus flatteuse que la réalité. Julien, 23 ans, reconnaît s’en servir : «J’utilise souvent l’IA pour retirer les passants sur mes photos de vacances. Ça donne l’impression que j’ai la plage pour moi seul, alors qu’en réalité, elle est bondée». Ce nouvel arsenal numérique ouvre ainsi un vaste terrain de jeu, mais aussi de manipulation, où la frontière entre réel et fictif se brouille encore davantage.
Certains en ressentent déjà les effets pervers. Lily Mika, blogueuse voyage raconte dans un témoignage comment Instagram a peu à peu gâché une partie de son plaisir de voyager. En quête d’images «parfaites» pour son feed (l’enchaînement des photos publiées sur un compte, NDLR), elle avoue avoir parfois été déçue en découvrant que certaines destinations ne ressemblaient pas à leurs représentations idéalisées sur les réseaux sociaux. «Je suis arrivée sur des plages de rêve, et la seule chose que j’ai réussi à penser ? C’était plus joli sur Instagram», confie-t-elle, allant jusqu’à éprouver un sentiment de culpabilité : «J’ai eu honte de ne pas réussir à m’émerveiller». À force de composer chaque cliché, de retoucher chaque image et de scénariser chaque instant, Lily s’est éloignée de la spontanéité du voyage, au point de se sentir blasée. «Instagram rend nos yeux trop exigeants», écrit-elle.