Festival de Cannes 2025 : "Je sais que mon père serait fier de moi", 26 jeunes venus de toute la France ont gagné un concours de très courts-métrages

Sur la façade de la gare de Cannes, leurs portraits s'affichent en grand dans des tonalités bleutées. La photographe Mathilde de l'Ecotais, également réalisatrice et plasticienne, a utilisé la technique du cyanotype pour capter la personnalité de chacun. Logés à Juan-les-Pins, les 26 lauréats du concours Moteur ! arrivent à Cannes le 21 mai à bord d'un train régional et découvrent cette exposition qui leur est consacrée pendant le festival. Immense fierté. Le roi n'est pas leur cousin !

À les voir si heureux, exubérants ou plus réservés, faire des selfies devant leur propre image, difficile d'imaginer que beaucoup de ces jeunes, âgés de 14 à 22 ans, ont vécu des drames. Ils se racontent dans des films très courts, seulement 90 secondes, qu'ils ont envoyés au comité de sélection de l'association Moteur ! Fondée en 2015 par Caroline Sénéclauze, elle aide les jeunes à lutter contre la solitude, l'enclavement et le déterminisme social. La règle est simple : ils sont invités à dire merci, en images, à une personne qui les inspire. "Cette année", explique la présidente de Moteur !, "on a reçu 704 films. Le nombre de candidats ne cesse d'augmenter."

Cynthia (19 ans) et Maïann (17 ans) devant l'affiche de l'exposition Moteur ! avec les portraits des 26 lauréats du concours 2025, à la gare de Cannes, le 21 mai 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Cynthia (19 ans) et Maïann (17 ans) devant l'affiche de l'exposition Moteur ! avec les portraits des 26 lauréats du concours 2025, à la gare de Cannes, le 21 mai 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Après une sélection en plusieurs étapes, les vainqueurs, âgés de 14 à 22 ans, venus de toute la France (Villetaneuse, Cysoing, Montluçon, Longjumeau, Rennes, Gujan-Mestras, Espezolle...) se regroupent et passent quatre jours ensemble, intégrant une famille déjà forte de 3 000 membres. "On ne cherche pas le nouveau Spielberg", explique Laurent Cassagnau, chargé de la presse pour Moteur ! "Le film n'est qu'un moyen pour les amener à prendre confiance en eux, en leurs capacités, à se sentir légitimes."

Pour cette neuvième saison, placée sous le signe de la justice sociale et de la liberté d'expression, l'association a invité la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy à présider le jury. Une marraine inspirante. Auteure de Rue Cases-Nègres et d'Une saison blanche et sèche, elle s'est vue remettre un Oscar d'honneur à Hollywood en 2022. Quand elle rejoint les jeunes sur le parvis de la gare, elle leur parle d'Aimé Césaire, un homme qui l'a inspirée, de ses films, et de sa volonté toujours intacte de lutter pour plus d'inclusion. "Mon Oscar, je l'ai dédié aux jeunes comme vous", raconte-t-elle. "Quand je l'ai reçu, j'ai fait venir de Martinique une collégienne et une lycéenne. Je les ai invitées à ma table officielle, pendant la soirée des Oscars, pour qu'elles voient que si moi j'ai pu le faire, elles peuvent le faire aussi."

Angèle et Amane, deux des 26 lauréats du concours organisé par l'association Moteur !, sur le parvis de la gare de Cannes, le 22 mai 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Angèle et Amane, deux des 26 lauréats du concours organisé par l'association Moteur !, sur le parvis de la gare de Cannes, le 22 mai 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

La petite bande rejoint ensuite à pied, découvrant la ville pour la première fois, un restaurant thaïlandais où une longue table a été dressée en leur honneur. Ils font connaissance. Cynthia et Maïan expliquent qu'entre elles, "ça a matché tout de suite". Le moment le plus fort de la journée est encore à venir. Sur le toit terrasse de la Fnac, partenaire de l'association Moteur !, une projection de tous leurs films est organisée. Certains les ont déjà visionnés sur YouTube où l'on peut tous les voir en ligne, mais c'est la première fois qu'ils le font ensemble. Et ça va tout changer.

Dans le premier, Saber, 22 ans, arrivé d'Algérie en 2004, remercie Coluche pour les Restos du Cœur. Il raconte son émerveillement d'enfant en découvrant ce lieu merveilleux où il y avait des bonbons, des jouets et des bénévoles bienveillants. Tiwen, 14 ans, le benjamin des garçons, signe un film inventif et drôle dans lequel il remercie son tonton belge, un homme mystique adepte de la méditation et des frites, qu'il surnomme "Nonante". Dans un style plein d'autodérision, Bilal rend, lui aussi, hommage à un oncle qui s'évertue à le motiver.

Du rire et des larmes

D'autres mercis vont faire pleurer toute l'assistance. Celui de Solène, enfant adoptée qui a perdu sa mère en juillet 2024. "Ma mère est un amour doux qui ne cesse d'aimer et elle m'a aimée jusqu'à son dernier souffle", dit-elle d'une voix pleine des sanglots retenus. Bahya, 14 ans, dédie son merci à son père, son "idole", mort lui aussi, il y a 18 mois. Comme Solène, elle l'a filmé sur son lit d'hôpital pour graver sur la pellicule un "Je t'aime" et pouvoir entendre le sien. Elle lui demande pardon d'avoir eu peur et de s'être éloignée de lui quand il est tombé malade. Elle se dit très contente d'avoir gagné parce que ce film lui tient vraiment à cœur. "Je suis sûre qu'il serait fier de moi", murmure la pudique Bahya.

Le père d'Erwan n'est pas mort, mais il est resté en Irak, son pays d'origine. "C'est dur de vivre sans père", avoue-t-il. "Avoir un père, c'est fantastique. Il faut savoir profiter de cette chance-là." Sa mère a fui la guerre et la pauvreté. Il dédie son film poétique à cette "étoile voyageuse". "J'ai grandi sur le reste de ses sacrifices, sur les silences qu'elle n'a jamais traduits, sur les ombres qu'elle a laissées derrière elle pour que je marche en plein jour", écrit-il. La brillante Louane, étudiante en sciences politiques, a choisi, elle, de danser sa peine en noir et blanc dans une superbe chorégraphie sur l'anorexie. Elle remercie Victoire d'Auxerre, une mannequin qui a pris la parole sur ce thème et "montré le chemin de l'espérance", celui que sa sœur à elle n'a pas trouvé.

Les digues lâchent

Chaque film est une perle qu'il faut prendre le temps de découvrir. Gisèle Pelicot, un grand artiste de cirque, le meilleur pâtissier du monde, l'agent d'entretien du lycée... leurs sources d'inspiration sont multiples. "Faire des films, ça me fait du bien", dit l'hypersensible Sophia, victime d'abus multiples, dans un film d'animation remarquable. Après la projection, tous les lauréats sont invités par Caroline Sénéclauze à prendre la parole pour exprimer ce qu'ils ressentent.

La plupart, intimidés, répètent qu'ils ont été émus et étonnés de découvrir ce qu'ont fait les autres. Et puis Erwan se lève, prend le micro et les digues lâchent. "C'est la première fois que je pleure depuis des mois", avoue-t-il, en larmes. "J'ai une vie très compliquée en ce moment. Ça fait très longtemps que ma famille n'a pas eu une bonne nouvelle. Quand ma mère a su que j'avais gagné, elle a pleuré toute la journée. J'ai l'impression d'avoir réussi ma vie ; c'est la première fois que je la rends heureuse." Tous les jeunes se lèvent alors et se regroupent autour du jeune homme de 17 ans, dans une longue embrassade.

Une soirée sur la plage et des claps d'or

Ils finissent cette première journée pleine d'émotion sur la plage. Pour manger, écouter de la musique, se baigner pour les moins frileux. Le lendemain, jeudi 22 mai, ils ont rendez-vous sur la plage du CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée) pour une conférence de presse. Ils ont cette fois revêtu leurs plus beaux atours, costumes noirs pour les garçons et robes longues pour les filles. "Je me suis acheté une robe de princesse rouge que je ne me serais jamais offerte autrement", sourit Lilou, 22 ans, étudiante à Bordeaux.

À la tribune, outre la présidente du jury, Euzhan Palcy, plusieurs invités de marque. Lucien Jean-Baptiste, acteur et réalisateur très investi dans le combat pour l'égalité des chances, choisit de leur parler vrai : "Sur les 26 qui sont ici, tous ne deviendront pas réalisateurs ou comédiens, mais il y a tous les métiers au cinéma. Si vous l'aimez, vous trouverez forcément votre voie. Foncez ! J'appelle ça la guerre des rêves. Il va falloir vous battre pour accomplir votre rêve."

Les 26 lauréats du concours de très courts-métrages Moteur ! au Festival de Cannes, plage du CNC, le 22 mai 2025. En haut à droite, le comédien et réalisateur Lucien Jean-Baptiste. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Les 26 lauréats du concours de très courts-métrages Moteur ! au Festival de Cannes, plage du CNC, le 22 mai 2025. En haut à droite, le comédien et réalisateur Lucien Jean-Baptiste. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Jean-Marc Mormeck, sextuple champion du monde de boxe, enfonce le clou : "Vivez vos rêves, ne rêvez pas vos vies. Vous avez du talent. Il suffit de travailler. Donnez-vous les moyens." À la Toussaint, les lauréats seront à nouveau réunis à Paris pour des ateliers de slam, de prise de parole. Le but est de les aider à se sentir légitime, à renforcer leur confiance en eux.

En attendant, place aux paillettes et au glamour : les 26 jeunes sont invités par le délégué général, Thierry Frémaux, dans le salon des ambassadeurs du palais des Festivals pour la remise des Clap d'or Moteur ! Leur premier César en quelque sorte. Ils monteront ensuite les célèbres marches, stars parmi les stars, conviés à la projection d'un beau film sur la jeunesse : La Venue de l'avenir de Cédric Klapisch. Après Moteur !, il sera bientôt temps de leur dire : Action !