Guerre Israël-Iran : "On a attaqué l'Iran, pas la République islamique", souligne l'écrivaine iranienne Fariba Hachtroudi

La guerre de douze jours en Iran a profondément marqué les populations. Interrogée par le journaliste Jean-Baptiste Marteau, Alix Bouilhaguet, éditorialiste politique, et Anthony Bellanger, éditorialiste international pour franceinfo, l'écrivaine et journaliste iranienne Fariba Hachtroudi, à Téhéran au moment du conflit, livre son récit et sa vision des événements, dans l'interview de "8h10" de la "Matinale" du jeudi 26 juin.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Jean-Baptiste Marteau : Vous revenez tout juste d'Iran. D'abord, comment les Iraniens que vous avez croisés pendant ces 12 jours ont-ils vécu ces guerres, ce conflit ?

Fariba Hachtroudi : Très mal, vraiment très mal. Au début, c'était une surprise. Personne n'y croyait. Les premiers jours, quand j'étais à Téhéran, je sortais dans la rue, il y avait une certaine normalité, mais avec une crainte derrière, terrible et effrayante, vraiment. Les jeunes, un peu moins, ne se rendaient pas vraiment compte de la guerre, mais ceux qui avaient connu la guerre Iran-Irak, dès le départ, nous ont dit que ça allait être vraiment l'horreur. Donc vraiment très, très mal. Et dès que les bombes ont commencé à tomber dans les quartiers, là, ça a été la panique. De quartier à quartier, c'est très étrange. Dans certains quartiers, rien. Dans d'autres, la panique a commencé à monter.

Il y a eu une peur que tout s'effondre, que le pays soit ravagé, comme dans d'autres endroits ?

Il y avait une peur que le pays soit ravagé. Il y avait une peur que les infrastructures soient détruites totalement. Il y avait une peur que l'Iran ne puisse pas réagir. L'Iran a été, les Gardiens de la Révolution, l'armée, totalement pris par surprise. Au moment où il y a eu des attaques de l'Iran vers Israël, là, les gens ont commencé à réagir, tout en étant extrêmement critiques vis-à-vis du gouvernement.

"20 à 30 écolières qui ont été tuées en Iran, des gamines"

Même s'il y a effectivement une critique du gouvernement, le régime n'est pas forcément apprécié, loin de là, c'est l'effet drapeau qui a primé ?

On a attaqué l'Iran, on n'a pas attaqué la République islamique. Surtout, quand il y a eu des morts civiles. Là, ce matin, c'est tombé avant que je vienne ici : il y a 20 à 30 écolières qui ont été tuées en Iran, des gamines. Il y a eu effectivement une cohésion dans l'ensemble des gens que j'ai pu voir, et surtout, ceux qui réfléchissent, qui ne réagissent pas émotionnellement. Il y a des jeunes qui disent que oui, ils veulent qu'on en finisse. Mais c'était l'émotionnel, une fois qu'ils ont ressenti la guerre, c'était vraiment : "Il faut défendre l'Iran".

Anthony Bellanger : Ce qui vous a frappé, c'est plusieurs choses à propos de vos compatriotes quand vous étiez vous-même à Téhéran. Par exemple, leur solidarité et leur civisme. Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples ?

C'était incroyable. Écoutez, je suis allée dans le bazar avec une amie le troisième jour de la guerre. Elle habitait à l'est de l'Iran, près de l'ancien aéroport national, qui a été bombardé. La nuit, on a compté 30 détonations, 30 déflagrations. Et le matin, on est allés au bazar, et le vendeur d'œufs disait : "Vous n'en laissez pas plus à une grand-mère ?" Elle disait : "Non, je vais en prendre pour moi. Tout le monde doit en avoir et finalement, si on doit crever de faim, on crèvera de faim ensemble". Il n'y a pas eu de panique dans les magasins, il n'y a pas eu de panique dans les supermarchés. J'étais vraiment étonnée. Il y a des moments où je me disais, que par rapport à ce qui se passait ici pendant le Covid ou avant le Covid, c'était sans commune mesure.

"Ils sont en train de nous faire le même coup que Gaza"

Alix Bouilhaguet : La population n'a pas vu à un moment, avec ces frappes, un moyen d'affaiblir le pouvoir et de se dire peut-être que ça peut nous inciter à aller au bout d'une révolution, d'un soulèvement ?

Non, c'est beaucoup plus compliqué en Iran. D'abord, il y a, si vous voulez, le ressentiment et vraiment l'impopularité totale de la République islamique. Ça ne veut pas dire qu'on fasse confiance aux États-Unis et qu'on fasse confiance surtout à Israël. Je veux dire, même si les Iraniens, au début, avant la guerre, quand je leur demandais : "Qu'est-ce que vous pensez de Gaza", ils disaient, "on a assez de problèmes nous-mêmes et surtout que l'Iran a tellement payé le Hamas", etc. Après le premier jour, quand les Israéliens ont dit : "On va frapper Téhéran", le nombre de personnes qui m'ont dit : "Ils sont en train de nous faire le même coup que Gaza". Moi-même, quand j'étais sur la route, entre les embouteillages, on disait, "Gaza numéro 2".

Anthony Bellanger : Les embouteillages, c'est une caractéristique de Téhéran, mais ce sont des embouteillages particuliers parce que ce sont des gens qui fuyaient Téhéran. Vous-même, vous avez trouvé refuge dans le nord de Téhéran, dans les montagnes, comme beaucoup de gens. Des villages qui ont été pris d'assaut, pratiquement.

Absolument, des villages qui ont été pris d'assaut. Alors effectivement, il y a toujours les spéculateurs. Pour un studio de 20 mètres carrés, d'un seul coup, ils demandaient 10 millions de tomans du côté de la montagne, du côté de la mer. En euros, ça ne fait pas grand-chose. Mais quand vous savez que le salaire moyen en Iran, c'est 2 millions, 3 millions, 10 millions, c'est énorme. Du côté de la mer Caspienne, il y a beaucoup de gens, notamment mon ami, qui avaient des villas. Ils ouvraient les portes. Il y a les deux côtés. Il y a les spéculateurs et les gens qui ouvraient leurs portes. Moi, j'ai été accueillie par une famille avec deux chambres. J'ai cru que j'étais en pensionnat, d'autre âme de science, qu'on dormait par terre les uns à côté des autres. Avec une vraie solidarité entre Iraniens. C'est absolument prodigieux à quel point la population, le sens civique perdurent au milieu du chaos. Le sens de l'humour des Iraniens, ils se remontaient le moral. C'était incroyable.

Des civils intoxiqués après les bombardements

Vous racontez aussi que vous avez eu des problèmes de santé. En revenant, vous avez encore des problèmes, dites-vous.

Oui, même maintenant, j'ai du mal à cause des bombardements. Quand j'étais à côté de l'aéroport, il y a beaucoup de jeunes qui ont des problèmes d'infections des yeux. C'est ce que j'ai eu. Hier, je suis allée chez le médecin. Je ne pouvais pas. J'ai du mal.

Jean-Baptiste Marteau : Même si votre quartier n'a pas été bombardé, même si votre réhabilitation n'est pas touchée, il y a des répercussions ?

Absolument. Parce qu'il y a des bombardements et il y a eu des incendies. Des incendies de voitures. Tout ça, ça fait une pollution terrible avec l'essence, avec je ne sais quoi. Et puis il y a effectivement les infiltrés qui, pour faire peur, brûlaient des pneus. Il y a une intoxication énorme, par exemple, respiratoire pour plein de gens.

Anthony Bellanger : Vous avez tenté de rejoindre la frontière. La France avait expliqué qu'il fallait rejoindre la frontière pour pouvoir sortir d'Iran. L'espace aérien est fermé par l'Arménie. C'est ce que vous avez tenté de faire. J'aimerais que vous nous racontiez un petit peu la façon dont, à la frontière, les douaniers iraniens vous ont accueillie...

J'ai passé mes bagages et quelqu'un est venu me dire que je devais repasser mes bagages. Ils ont confisqué mon ordinateur et mes deux portables. J'ai commencé à hurler. Je n'ai pas peur. C'est très présomptueux, mais franchement, je n'ai pas peur. C'est peut-être une de mes qualités, j'en ai pas beaucoup. J'ai commencé à hurler, en disant : "Ne touchez pas à mes appareils". Et le jeune homme qui était là, qui me dit : "Écoutez, Madame, calmez-vous". L'Azerbaïdjan, c'est un peu mon domaine, parce que mon grand-père, mon père étant très connus, très aimés, j'ai commencé à parler d'eux, en disant, c'est une honte. Je leur ai dit : "Dans mon portable, il y a le numéro du président, je veux appeler le président, immédiatement". J'ai son numéro. Et ils m’ont dit : "Mais calmez-vous, on veut juste discuter avec vous". Je dis : "Vous pensez que c'est le moment de discuter ?" Et puis quand ils sont venus, il y avait deux personnes, un jeune extrêmement éduqué, je dois dire, extrêmement calme, extrêmement poli. Il m'a dit : "Je suis de l'office de la présidence, justement". Et le premier qui m'a dit : "Vous ne pouvez pas toucher à vos appareils", j'ai dit, "quelle instance m'interpelle ?". Il a dit "le judiciaire". Le judiciaire, je ne les porte pas dans mon cœur. Quand il a dit le judiciaire, j'ai explosé. J'ai dit : "Je suis une criminelle, vous m'arrêtez". Quand le jeune est arrivé, il m'a laissé le téléphone. Je suis persuadée qu'il parlait français. Il ne me l'a pas dit. J'ai appelé l'ambassade en disant qu'"il y a un jeune homme très poli, tout se passe bien". Les questions qu'il m'a posées, franchement, il n'était pas futé. – Combien d'heures de péri ? – Deux heures. – Et deux jours pour quitter l'Iran ? – Absolument, deux jours. Ça a été très éprouvant. La route de l'Arménie, en plus, est totalement... On a failli deux fois tomber dans le ravin. C'était vraiment très dur.