La montre qui a écrit la légende de Rolex bientôt aux enchères chez Sotheby’s

C’est avec elle que tout a commencé pour Rolex. La montre qui a bâti la légende de résistance et d’étanchéité de la marque à la couronne refait surface aux enchères le 9 novembre prochain à Genève. Une pièce dont tous les amateurs d’horlogerie ont nécessairement entendu parler, et historique à plus d’un titre. En effet, la seconde traversée de la Manche à la nage par une jeune secrétaire multilingue anglaise - surnommée Vindication channel swim outre-Manche après qu’une concurrente ait mis en doute sa première traversée - constitue l’un des mythes fondateurs de Rolex.

En août 1926, une nageuse olympique américaine du nom de Gertrude Ederle sera la première à parvenir à traverser la Manche à la nage, en 14 heures et 39 minutes, plus vite que n’importe quel homme. De quoi motiver plus encore Mercedes Gleitze à être la première Britannique à franchir le Channel, ce qu’elle fera depuis le cap Gris-Nez, près de Calais, le 7 octobre 1927, en 15 heures et 15 minutes. Un exploit alors remis en cause par une rivale, Mona McLennan, qui reconnaîtra rapidement avoir menti. Mais la jeune Mercedes avait déjà accepté de défendre son titre, avec une nouvelle traversée prévue pour le 21 octobre 1927. De quoi attirer l’attention de la presse, et transformer cette tentative en un véritable événement. Malgré son échec ce jour-là, « elle aura nagé durant plus de dix heures, souligne Sam Hines, à la tête du département Horlogerie de Sotheby’s. Des bateaux avec à bord sa famille, des journalistes, des amis l’accompagnaient, jouant même de la musique pour la tenir éveillée. Un avion affrété par le Daily Mail permettait de prendre des photos aériennes de l’événement. Une telle épreuve d’endurance dans l’eau glacée était assez incroyable dans les conditions de l’époque. »

Le 7 Octobre 1927, Mercedes Gleitze traverse la Manche à la nage. Rolex
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Avant sa traversée couronnée de succès, et ce après plusieurs échecs depuis 1922, la nageuse était tout sauf une inconnue : depuis le début des années 1920, elle avait multiplié les exploits en termes d’endurance sportive, battant notamment le record de la durée de nage dans la Tamise en 1923. Le retentissement autour de cette traversée de la Manche attirera l’attention d’un d’entrepreneur : Hans Wilsdorf. Son but : faire parler de l’Oyster, la montre-bracelet au boîtier étanche imaginée par Rolex. Une telle traversée de la Manche constituait le test parfait pour prouver ses talents et son degré de résistance. Et constituera un virage fondateur pour la jeune marque horlogère comme pour sa communication. Mercedes Gleitze deviendra ainsi la première athlète dont l’image sera utilisée pour faire la promotion d’un produit, et le premier « témoignage » de la marque à la couronne (qui s’est toujours refusée à avoir recours au mot « ambassadeur »).

La Rolex Oyster et l’encart paru à son sujet en 1927. Rolex/Jean-Daniel Meyer

Le 24 novembre 1927, la page de publicité achetée par Rolex comportera donc un encart à la gloire de la nageuse, célébrant le fait que la Rolex Oyster « a continué d’indiquer l’heure malgré le fait d’être resté immergé dans l’eau pendant plus de dix heures ». Une première parution qui sera suivie par bien d’autres des décennies durant. « Vous serez ravi d’apprendre que la montre Rolex Oyster que j’emportais lors de ma traversée de la Manche s’est révélée fiable et précise, même après une immersion complète de 10 h 24 dans une eau de mer à une température ne dépassant pas 14 °C, et souvent même à 11 °C. Sans parler des secousses soutenues qu’elle a dû subir, témoignera la nageuse Mercedes Gleitze auprès de Rolex, le 25 octobre 1927. Même le brusque changement de température de la cabine du bateau, lorsque j’ai été sorti de l’eau, n’a pas semblé affecter la régularité de son mouvement. Le journaliste était stupéfait et, bien sûr, j’en suis ravie. » En effet, « Mademoiselle Gleitze a emporté une petite montre en or qui a parfaitement fonctionné durant tout le temps passé sous l’eau. », écrira un journaliste du Time. Une montre qu’elle portera en fait autour du cou en nageant, et non fixée au poignet lors de sa tentative de traversée.

La Rolex Oyster vendue en 2000 et une publicité à son sujet. Rolex/Jean-Daniel Meyer

Hans Wilsdorf, qui a commencé sa carrière à La Chaux-de-Fonds en 1900, créera Wilsdorf & Davis en 1905. Très tôt, il saisira le virage naissant que constituait le passage des montres de la poche vers le poignet, conséquence directe de la Grande Guerre : il fallait avoir les mains libres pour se battre… Pour lui, les montres de poche, à l’abri les replis des vêtements, n’étaient plus adaptées aux nouveaux usages. « Il faut trouver le moyen de créer un boîtier imperméable », écrira-t-il dès 1914 dans un courrier à ses partenaires de la maison Aegler. Outre-Atlantique, entre 1916 et 1918, un horloger du nom de Charles Depollier développera pour sa part pour l’armée américaine la Waltham Field & Marine Trench. Une création alors dotée d’une double lunette, d’un boîtier vissé fermé hermétiquement , d’une couronne vissée sur le boîtier et d’une clé permettant de serrer boîtier et fond du boîtier pour en assurer l’étanchéité. Au cours des années 1920, les brevets se succéderont pour rendre de plus en plus de montres étanches. Hans Wilsdorf saura quant à lui améliorer l’idée de couronne vissée et de joint déposée en 1925 par Georges Perret et Paul Perregaux. En 1922, les Rolex Submarine ou Hermetic voyaient le jour. En 1926, au tour du boîtier Oyster, étanche comme une huître, de naître. Rendu totalement hermétique grâce à un système de lunette, de fond et de couronne de remontoir vissés sur la carrure, il protège l’intérieur de la montre de toute agression extérieure. Pour cet entrepreneur visionnaire, mariant innovations et rachats de brevets avisés, restait à faire savoir que ses montres étaient bel et bien étanches… Malgré l’échec de sa nouvelle tentative, l’exploit de la jeune nageuse de Brighton gravera l’histoire de l’Oyster dans le marbre…

Une carte postale représentant la nageuse Mercedes Gleitze. Navana Ltd

Au fil des décennies suivantes, des explorateurs, des scientifiques, des athlètes succéderont à la jeune nageuse pour promouvoir les qualités des montres signées Rolex. Et ce dans les environnements les plus exigeants de la planète. « Mais cette Rolex Oyster aura également été l’un des éléments clés de la transition de la montre de poche vers la montre-bracelet, souligne Sam Hines. De quoi faire de cette montre l’une des plus importantes encore entre des mains privées. » Vendue parmi d’autres souvenirs personnels au lendemain du décès de Mercedes Gleitze en 1981, cette montre en or légendaire, qu’elle aura portée tout au long de sa vie, avait notamment été aux premières loges lors de l’exposition organisée à l’occasion des 50 ans de Rolex, célébrés à l’Observatoire de Greenwich, le 22 septembre 1976.

La Rolex Oyster et une publicité à son sujet. Rolex/Jean-Daniel Meyer

Fabriquée en 1926, et gravée au dos de son boîtier en l’honneur de la Vindication Channel swim du 21 octobre 1927, cette Oyster en or de 27 mm de diamètre au cadran rose marqué « Rolex Precision » a été adjugée pour la dernière fois aux enchères le 21 juin 2000, chez Christie’s. Et ce pour environ 17000 livres sterling, soit environ 20000 euros. « Depuis, elle est restée entre les mains du même collectionneur possédant une importante collection de Rolex, détaille Sam Hines. Je pense qu’il la propose à la vente maintenant car l’an prochain, ce seront les cent ans de la Rolex Oyster. C’est bien la montre que Mercedès Gleitze portait autour du cou durant cette tentative de traversée. Sa provenance est largement documentée. À l’époque, les montres gousset dominaient encore le marché. Rolex, en créant l’une des premières montres étanches, a contribué à faire passer les montres au poignet. C’est aussi une pièce clé en termes de virage du marché de l’horloger, comme en termes de marketing. Par la suite, Rolex utilisera cette traversée de la Manche dans toutes ses publicités pour l’Oyster. Elle a vraiment une très grande importance dans l’histoire de la marque à la couronne. »

Les publicités Rolex mettront en scène cet exploit des décennies durant. Rolex/Jean-Daniel Meyer