REPORTAGE. "Banyuls, c’est la Méditerranée qu’on aimerait voir sur tout le territoire" : derrière la vitrine, des niveaux de protection très inégaux dans les aires marines protégées de France
La réserve de Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, près de la frontière espagnole, est un paradis pour plongeurs, pour pêcheurs ou plaisanciers. Et surtout un trésor à protéger pour Frédéric Cadène, le conservateur de la réserve maritime. Avec Julien, son collègue, il nous embarque à bord de leur bateau pour aller vérifier si les règles sont bien respectées. Alors que la conférence de l'ONU sur l'océan se tient à Nice du lundi 9 juin jusqu'au 13, la communauté internationale s'est déjà engagé à protéger au moins 30% des océans d'ici à 2030.
C'est "une réserve à deux zones, explique Frédéric Cadène : une zone de protection renforcée qui est vraiment le cœur de nature de cette réserve ultra-protégée, puisqu'aucune activité n'y est tolérée, et une plus grande zone, qui fait 90% de la surface de la réserve, où là, les activités sont aménagées". Il procède d’ailleurs au contrôle de deux pêcheurs. "Vous avez capturé des poissons ce matin ?, leur demande-t-il. Vous les avez rejetés ? Parfait. Pensez à le noter en tant qu'espèces relâchées. Ça nous permet de compléter nos données", les enjoint-il.
"L’idée ce n’est vraiment pas de mettre sous cloche"
Mille permis de pêche sont délivrés chaque année, essentiellement à des pêcheurs amateurs, comme Rémi, que l'on croise justement avec un petit poisson à la main, à bord de son embarcation. Comme à chaque prise, il devra l'indiquer dans une application sur son smartphone. "C'est quelques contraintes, admet-il, mais on le fait bien volontiers. Ça ne pose pas de difficultés particulières, encore faut-il pêcher quelque chose… Là, on a pêché quelques serrans-chevrette, certains maillés, c'est-à-dire qu'ils correspondent à la taille réglementaire de capture, d'autres plus petits qu'on a relâchés. Les autres, quand ils sont sur les mailles de capture, on les garde et, selon le poisson, tout ce qui est poisson de roche, on fait la soupe avec, et tout ce qui est sar, dorade, loup… Ce sont de très bons poissons, donc on déguste".
"L'idée, ce n'est vraiment pas de mettre sous cloche, précise le conservateur Frédéric Cadène. C'est de maintenir une activité, mais qu'elle soit durable". Soudain, un bateau, au loin, traverse à toute allure la zone dite de protection renforcée. "On va le faire ralentir", lance Frédéric Cadène. La navigation est autorisée, mais à vitesse réduite. "Bonjour, vous rentrez dans une aire maritime protégée, les aborde le conservateur. Donc si vous voulez passer à une vitesse un peu plus forte, vous devez passer au large, derrière les bouées". "Désolé, je ne savais pas", répond le plaisancier, tout penaud. "L'idée, c'est de limiter l’impact du bruit", explique Frédéric Cadène.
"On a vu, durant les périodes Covid, des choses qu'on ne verra plus. Pendant cette accalmie de quelques mois, on a vu des passages de dauphins à 100-150 mètres du bord, des passages de rorquals en plein milieu de la réserve."
Frédéric Cadène, conservateur de la réserve marine de Cerbère-Banyulsà franceinfo
Pour les plaisanciers, hors de question de jeter l'ancre à l’eau. Des zones de mouillage avec 80 bouées ont été installées pour préserver les fonds marins. "On protège tout ce qui est fixé, poursuit le conservateur, les gorgones, ce qu’on appelle aussi les 'forêts animales'. On a sur certains sites de la réserve des herbiers de posidonies qui sont des espèces emblématiques de la Méditerranée, qui sont des habitats prioritaires. Comme ça, on arrive à préserver les fonds et à maintenir une activité". Et ça marche ! La preuve : les populations de mérous sont passées d'une vingtaine d'individus dans les années 1980 à plus de 700 aujourd'hui.
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"C'est la Méditerranée qu’on aimerait voir sur tout le territoire, conclut le conservateur. Que les pêcheurs professionnels en tirent des bénéfices, que les pêcheurs de loisir et les plongeurs aussi. Si on ne met pas ces règles, cet équilibre-là, la Méditerranée serait bien vidée aujourd’hui". L'aire marine de Banyuls-sur-Mer sera d'ailleurs bientôt élargie. Elle devrait passer de sept kilomètres de côte protégée à une vingtaine.
Banyuls, malheureusement une exception
Mais cette aire protégée ferait presque figure d'exception aux yeux de certains spécialistes. La France se targue effectivement d'en avoir plus de 500, soit environ 33% de son espace maritime préservé. Mais les règles varient énormément et certaines n'ont de protégées que le nom, selon Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRS. "La France revendique 60% de la Méditerranée française couverte par une aire maritime protégée, et en Atlantique-Manche-Mer du Nord, 40% qui sont couverts".
"Quand on regarde les niveaux de protection, il y en a beaucoup moins."
Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRSà franceinfo
"En Méditerranée, on passe de 60% à 0,1% de couverture en aire marine protégée qui fonctionne réellement, qui ont des réglementations contraignantes pour les usagers, poursuit le chercheur. En Atlantique-Manche-Mer du Nord, on passe de 40% à 0,01%. Il y a un réel écart entre ce qui est décrétée aire marine protégée et ce qui va vraiment protéger les écosystèmes". Preuve de ces contraintes limitées, le chalutage est autorisé dans certaines zones censées être préservées.
La préservation des océans est justement au cœur d'un sommet international à Nice jusqu'à vendredi. Les chefs d'État et de gouvernement, ONG et scientifiques négocient à l'occasion de cette troisième Conférence des Nations Unies sur le sujet. Exploitation des fonds marins, pollution plastique, décarbonation des porte-conteneurs ou des paquebots touristiques... Les enjeux et les points de friction sont nombreux. L'occasion peut-être de repréciser ce qu'est vraiment une aire marine protégée.