De la pandémie aux feux, cinq ans de malheur sur Los Angeles et Hollywood

«Ces incendies sont ce qui pouvait arriver de pire à la ville et à l’industrie hollywoodienne. À Los Angeles, beaucoup de professionnels étaient déjà exsangues avant les feux. Ils s’accrochaient pour tenir jusqu’à 2025 en se disant que ça irait mieux», soupire Didier Allouch. Le correspondant de Canal + à Hollywood est aux premières loges pour constater la dévastation sur un secteur audiovisuel déjà genou à terre.

«La vie s’est arrêtée dès le 7 janvier , dès le début des incendies: les tournages, les remises de prix, les premières. C’est difficile de faire la fête à Hollywood quand 15 kilomètres plus loin c’est Tchernobyl. C’est difficile de venir à une cérémonie comme les Oscars quand tu sais que la plupart des employés que tu verras ce jour-là n’ont plus de maison», témoigne Didier Allouch. Les feux ont aussi bien détruit les villas cossues de Pacific Palisades qu’Altadena, repère de la classe moyenne et lieu de résidence des réalisateurs et acteurs émergents.

Les incendies sont le dernier fléau à s’abattre sur une capitale du divertissement qui enchaîne les épreuves. En cinq ans, se sont succédé la pandémie et la double grève des scénaristes et des acteurs qui ont mis, à chaque fois, Hollywood à l’arrêt stoppant les tournages. Le tout dans un contexte de restructuration économique. L’arrivée des plateformes a complètement déstabilisé le modèle en éliminant les marchés secondaires d’exploitation (DVD, diffusion télé, droits à l’étranger) qui suivaient la sortie en salle. S’en est suivie une concentration du secteur avec une grande vague de fusions (Warner-Discovery, Disney-Fox) et de licenciements. Résultat, il y a moins de tournages et de projets mis en développement. 

«Les films ne se font plus à Hollywood»

Cette récession, qui s’accompagne d’une réticence face à la prise de risque et au lancement d’œuvres originales non issues d’une franchise ou d’une adaptation, frappe de plein fouet la Californie. Les caméras désertent la région de Los Angeles. Les niveaux de production ont baissé de 5 % au troisième trimestre 2024 par rapport à la même période en 2023 (déjà très basse). Seuls 5 048 jours de tournage ont été enregistrés entre le 1er juillet et le 30 septembre. Les studios préfèrent tourner en Géorgie, à New York où les rabais fiscaux sont plus attractifs.

Avant même les feux, «beaucoup de travailleurs au bas de l’échelle et de petites mains subissaient déjà une pression incroyable», rappelait le Los Angeles Times, en raison des loyers et du coût de la vie exorbitants. Et étaient tentés de plier bagage. Dans un marché immobilier déjà saturé, comment retrouver un logement pour ceux qui ont tout perdu ? D’après le syndicat des techniciens, 8000 d’entre eux vivaient dans les quartiers endommagés. En tout 130.000 personnes dépendent du petit et du grand écran dans l’agglomération de Los Angeles.

« Cette succession de coups portés à l’industrie fait mal. Tu te relèves et puis tu t’en prends un nouveau dans la figure», considère Didier Allouch. Avant d’ajouter: «Ça va être vraiment difficile. Il va falloir reconstruire. Il y a plein de gens qui sont à la rue. J’ai des amis dont la maison est un tas de cendres. C’est un trauma, un deuil à surmonter : leur petite fille pleure toutes les dix minutes. C’est un chef opérateur qui a une bonne carrière. Il ne se voit pas abandonner sa famille et retravailler immédiatement. Les films ne se font plus à Hollywood. Quand tu tournes aujourd’hui, tu pars six mois en Australie, tu pars six mois en Afrique du Sud, tu pars six mois à Atlanta»

Exode

Les agents et les scénaristes estiment que les studios vont mettre de côté les nouveaux projets et les mises en développement, le temps de retomber sur leurs pieds et de remettre en marche la machine. Malgré la sidération et la reprise des vents violents, alors que tous les foyers ne sont pas encore circonscrits, Didier Allouch s’attend quand même à ce que des tournages reprennent dès cette semaine si des permis ad hoc sont délivrés. Cela ne sera cependant pas le cas de toutes les productions. Certains décors extérieurs ont brûlé comme des villas, ou des lycées. Il faudra trouver d’autres lieux quitte à accélérer l’exode loin de la Cité des Anges.

«Les studios n’ont pas le choix. Quand tu arrêtes un film, quand tu arrêtes une série, ça coûte une fortune. Est-ce que le cœur y est ? Probablement pas. Encore une fois c’est psychologiquement difficile de partir d’un endroit qui n’est plus chez toi et d’aller travailler. On sait que c’est important dans une industrie aussi créative que le cinéma, d’avoir la pêche». Et de conclure : «C’est une période extrêmement délicate. Ce que l’on traverse va déterminer tout ce qui se passera dans les dix prochaines années dans l’industrie du cinéma en Amérique. Il faut que les films marchent. Il faut que l’année soit vraiment exceptionnelle pour que chacun ait de quoi s’assurer, se reloger». Faute de film phare locomotive, ce n’est pas en tout cas le chemin qu’a pris un box-office anémié en janvier.