VRAI OU FAUX. Non, la France n'a pas autorisé la création de "milices privées" pour envoyer des combattants faire la guerre en Ukraine

La France a-t-elle récemment autorisé l'envoi de "milices privées" en Ukraine pour intervenir dans la guerre avec la Russie ? De nombreux internautes l'affirment après la publication d'un décret du ministère des Armées, daté du 31 octobre. "Il autorise en effet la création 'd'opérateurs de référence du ministère des Armées', c'est-à-dire ni plus ni moins que des groupes armés privés", affirme avec assurance le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, ex-député de l'Essonne et président de Debout la France.

"Macron (...) vient de légaliser les sociétés militaires privées, à l'étranger et en France !", prétend également sur X Philippe Murer, économiste souverainiste et essayiste anti-euro, ancien conseiller économique de Marine Le Pen et qui avait déjà questionné la responsabilité des forces russes dans le massacre de Boutcha, rappelle Libération. "La France a trouvé une ficelle pour envoyer ses militaires en Ukraine sans l'admettre", écrit sur X le compte prorusse Brainless Partisans, citant un média biélorusse. Mais en lisant attentivement le décret, on constate que la réalité est bien différente.

Du soutien à la formation ou à l'exportation

Le décret contesté a été signé par le ministère des Armées et publié au Journal officiel le 1er novembre. Il est relatif "aux opérateurs de référence du ministère des Armées pour la coopération militaire internationale". Le décret explique que "le maintien et le développement de l'influence de la France requièrent (...) une assistance des armées par des opérateurs économiques de référence". Ces "opérateurs économiques de référence" sont créés pour "accompagner et prolonger l'action de l'Etat en matière de coopération internationale militaire" et doivent être "capables de seconder ou de se substituer aux forces dans certaines missions identifiées", ajoute le texte.

"Se substituer aux forces", "accompagner (...) en matière de coopération militaire"... Ces "opérateurs économiques" pourraient-ils alors participer aux combats ou envoyer des soldats ? Non, et le décret le précise bien. Les missions qui peuvent leur être confiées concernent, selon l'article 3, "des missions de formation, d'entraînement, de maintien en condition opérationnelle ou de soutien".

En clair, ces opérateurs seront "chargés d'assister les armées françaises dans les actions de formation des armées étrangères ou de soutien aux exportations de matériels de guerre français", précise à franceinfo la Délégation à l'information et à la communication de la Défense (DICoD) du ministère des Armées. "Leurs agents ne pourront en aucun cas être engagés dans des opérations militaires dans le cadre d'un conflit armé", ajoute le DICoD, sachant que l'activité de mercenaire est illégale depuis une loi promulguée en avril 2003. Le décret "n'a donc ni pour objet ni pour effet d'organiser les conditions d'intervention des forces armées françaises à l'étranger", insiste également la délégation.

Des "entreprises de service de sécurité et de défense" déjà utilisées

L'armée française a déjà recours depuis des années à des entreprises privées. Ces sociétés, comme DCI Group (Défense Conseil International), Amarante International, THEMIIS ou Chiron Solutions, ne fournissent pas des soldats, mais des services : "conseil en sécurité internationale, accompagnement et sécurisation d'investissements à l'étranger, soutien de bases militaires, ou encore logistique", décrit par exemple un rapport d'information parlementaire publié en 2012.

C'est pourquoi elles sont plutôt appelées "entreprises de service de sécurité et de défense" (ESSD), pour éviter les suspicions qui entourent le terme "sociétés militaires privées" (SMP) généralement utilisé. Le terme SMP est une "traduction de la notion anglo-saxonne de 'private military companies'", mais les ESSD françaises ont un panel d'activités "moins large que celui proposé par leurs homologues britanniques ou américaines, qui sont autorisées à mener des actions de vive force, y compris en appoint des forces armées", explique le rapport. Les parlementaires évoquent un climat de "suspicion" à l'égard des ESSD, qui persiste, "nourri des dérives de certaines entreprises américaines engagées (…) en Irak et assurant pour leur gouvernement, parmi d'autres prestations, des actions de combat".

Un décret qui "assouplit les règles de la commande publique"

Le décret français vient donc formaliser la procédure d'attribution du titre d'"opérateur économique de référence", avec la possibilité d'un partenariat de long terme et l'accès à des documents classifiés. Il "assouplit les règles de la commande publique pour la réalisation, par des opérateurs privés, des actions de coopération internationale militaire tournées vers la formation des armées des Etats étrangers partenaires de la France" et "préserve les moyens propres des forces armées françaises, en limitant l'engagement direct de soldats français dans les actions de formation", argumente le DICoD.

"En attribuant des droits exclusifs ou spéciaux pour une durée de dix ans, [le décret] permet de garantir prévisibilité et réactivité à la France comme aux Etats partenaires pour le développement de ces actions, ce qui est un gage de compétitivité des entreprises françaises et européennes en ce domaine", affirme le DICoD. Labelliser ainsi des "opérateurs de référence" permettra "de reconduire d'actuels partenaires, d'en choisir éventuellement d'autres sans inventer une ingénierie compliquée d'appels d'offres qui permette d'exclure des marchés en question des opérateurs pour lesquelles la confiance n'est pas assez forte", estime l'historien Walter Bruyère-Ostells, auteur du livre Histoire des mercenaires, cité par AFP Factuel, le service de fact-checking de l'Agence France-Presse.

Depuis février 2022, des internautes ou des opposants politiques accusent régulièrement Emmanuel Macron de préparer une intervention militaire en soutien à l'Ukraine. Cette nouvelle rumeur intervient dans le contexte des déclarations du chef d'état-major des armées français, Fabien Mandon, qui a déclaré mi-novembre que la France devait être prête à "accepter de perdre ses enfants" en cas de guerre. "Je mesure à quel point certains ont pu être inquiétés", a déclaré samedi le général dans l'émission "C à vous" sur France 5. Mais "le rôle de cette intervention" était "d'alerter et de se préparer", a-t-il expliqué, car "le contexte se dégrade rapidement" et il lui "paraissait important de partager avec les maires ce constat".