Réforme des retraites : comment la gauche et les syndicats veulent financer l’abrogation

Le climat politique actuel échauffe les esprits : voilà l’ancien président François Mitterrand revenu d’entre les morts à la une des Échos. Dans un éditorial survolté, le quotidien libéral s’alarme d’un grand retour de la « gauche de 1981 », dénonçant « une ambiance digne de la négociation du programme commun ».

En cause, notamment, la possible abrogation de la réforme des retraites de 2023 (c’est-à-dire le passage de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans), qui fait l’objet d’une âpre négociation entre les partis de gauche, hors LFI, et le gouvernement de François Bayrou. Le premier ministre et les socialistes sont d’ailleurs dépeints par le quotidien en « preneurs d’otage de l’économie ». Tout aussi mesuré, le Figaro compare une abrogation de la réforme macroniste à un « Munich des retraites »

Revenir sur la réforme ne serait pas ruineux

Face à cette dramatisation, les partisans d’une abrogation affûtent leurs arguments. Revenir sur la réforme de 2023 n’aurait rien de ruineux, expliquent-ils. Il faut dire que, pour tenter de faire avaler la pilule du report à 64 ans, le gouvernement avait été obligé de proposer à l’époque des aménagements sociaux, diminuant ainsi les économies réalisées.

Résultat, abroger le texte « ne » coûterait que 3,4 milliards d’euros en 2025 et environ 16 milliards en 2032, selon les estimations de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). La somme n’est pas dérisoire, mais n’a rien d’insurmontable : pour mémoire, la seule baisse des impôts de production votée sous l’ère Macron coûte 10 milliards d’euros au budget de l’État. En y ajoutant la facture de la suppression-transformation de l’ISF (4,5 milliards d’euros) et la création de la flat tax (1,8 milliard), on dépasse sans mal les 16 milliards.

Néanmoins, le plus naturel pour faire entrer de l’argent dans les caisses de retraite est encore de miser sur les cotisations sociales. Pour l’économiste Michaël Zemmour, il suffirait d’augmenter ces dernières de 0,15 point par an pendant six ans. « Soit une somme comprise entre 13 et 15 euros par mois pour un salarié payé au Smic, si l’effort est intégralement supporté par le salarié, nous précise-t-il. Mais on peut réfléchir aux modalités de cette hausse, en la partageant entre employeur et salarié ou en la modulant en fonction du niveau de salaire. Cela pourrait supposer de créer deux taux, au-dessus et en dessous du plafond de la Sécu (3 925 euros mensuels – NDLR). »

« Avec la hausse des salaires, il y a largement de quoi trouver 16 milliards d’euros »

Pour corser la difficulté, les macronistes font valoir que le coût de l’annulation de la réforme serait plus élevé que celui calculé par la Cnav si l’on tient compte des effets supposément bénéfiques du report à 64 ans sur l’ensemble de l’économie : maintenir les salariés plus longtemps en emploi augmente mécaniquement la richesse créée, et notamment le volume de cotisations sociales et d’impôts payés par ce surcroît d’actifs. Le raisonnement n’est pas faux, mais les gains attendus probablement surévalués.

« De 2010 à 218, le taux d’emploi des seniors a déjà très fortement augmenté, sans que cela ait d’effets spectaculaires sur la croissance du PIB, qui a été atone, relève Michaël Zemmour. Les défenseurs de la réforme chiffrent son gain économique à 1 point de PIB, ce qui est sûrement un peu surestimé. Et, de toute façon, même si les montants en jeu ne sont pas négligeables, ils n’ont rien d’une panacée. »

Dit autrement, les « gains » économiques d’un recul de l’âge légal ne compenseraient en rien le « coût » social de la réforme, surtout pour les catégories les plus fragiles. C’est au nom de cet argument que la gauche et les syndicats plaident pour l’abrogation de la réforme de 2023.

« Nous n’avons rien contre une suspension, si c’est une première étape sur la voie de l’abrogation, souligne Régis Mezzasalma, conseiller confédéral sur les questions de retraite à la CGT. Même si nous prônons un retour à 60 ans, nous proposons plusieurs pistes pour financer, dans un premier temps, le retour à 62. »

Et le syndicaliste de renvoyer aux mesures de la CGT présentées en octobre dernier : élargissement de l’assiette des cotisations à la participation, aux primes de la fonction publique et à l’intéressement (soit un gain de 2,2 milliards d’euros pour 2025) ; prélèvement de cotisations sur les dividendes (24,4 milliards d’euros pour l’année 2023), etc.

Nicolas Sansu, député PCF, plaide plus généralement pour la création d’une « dynamique vertueuse pour le financement de la Sécu », à travers l’augmentation des emplois et des salaires : « Avec la hausse des salaires (et notamment l’égalité hommes-femmes) et la revisite de l’ensemble des exonérations de cotisation, il y a largement de quoi trouver 16 milliards d’euros ! »

Le média que les milliardaires ne peuvent pas s’acheter

Nous ne sommes financés par aucun milliardaire. Et nous en sommes fiers ! Mais nous sommes confrontés à des défis financiers constants. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.
Je veux en savoir plus !