Théâtre : notre critique de La Double Inconstance, un parfait marivaudage
Silvia (Emma Gamet) et Arlequin (Thomas Sagols ou Anthony Audoux) s’aiment et sont heureux, mais le Prince (Baptiste Bordet) jette son dévolu sur la jeune paysanne et entend l’épouser. Il la fait enlever. Sa maîtresse Flaminia, fille d’un officier de la cour (Marilyne Fontaine), et son serviteur zélé Trivelin (Jean-Paul Tribout) complotent afin qu’ils se rapprochent. Leur comportement n’est pas sans rappeler ceux de la Marquise de Merteuil et de Valmont dans Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos.
Jean Anouilh considérait La Double Inconstance, comédie en trois actes et en prose de Marivaux, comme « l’histoire élégante et gracieuse d’un crime ». Effectivement, le cœur de l’homme s’avère d’une incroyable faiblesse quand il bat au rythme des aspirations des grands de ce monde. « De tous ces gens-là, il n’y en a pas un qui ne vienne me dire d’un air prudent : “Mademoiselle, croyez-moi, je vous conseille d’abandonner Arlequin, et d’épouser le Prince” », s’étonne Silvia.
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Créée pour la première fois en 1723, la pièce n’a rien perdu de son acuité. Sous le rire des protagonistes perce une noirceur perverse. Une loi lui interdit de prendre de force les êtres de classe inférieure, les « sujets », mais la violence psychologique est sous-jacente. Flaminia ne recule devant aucune manigance. Sans scrupule, elle n’a de cesse de mettre son plan à exécution. Elle manipule à sa guise Silvia et Arlequin placés dans un milieu étranger, aisé.
Arlequin gourmand et attachant
Candides à souhait, ils seront amenés à se séparer et même à aimer ailleurs. Piégés à leur insu, ils sont vulnérables, versatiles, sensibles à la flatterie et donc inconstants. Lisette, la confidente de Flaminia (Agathe Quelquejay ou Lou Noérie) tente en vain de séduire Arlequin. On se dit que l’amour est bien peu de chose en comparaison de la volonté des puissants.
La mise en scène de Jean-Paul Tribout attribue au spectateur le rôle de témoin. À l'instar de Jean-Jacques Rousseau, il ne peut que constater que « si c'est la raison qui fait l'homme, c'est le sentiment qui le conduit »La mise en scène de Jean-Paul Tribout attribue au spectateur le rôle de témoin. Ce dernier sait vite quelle sera l’issue du match entre les deux équipes. Il balance entre un sentiment de joie et le désenchantement, mais sans verser dans la tristesse. À l’instar de Jean-Jacques Rousseau, il ne peut que constater que « si c’est la raison qui fait l’homme, c’est le sentiment qui le conduit ». Des notes enlevées servent d’intermèdes musicaux entre les saynètes.
Le décor classique représente la façade d’un palais d’époque devant laquelle les comédiens ont tout le loisir de déployer leur art. Ça rentre et ça sort à la vitesse d’un manège de fête foraine. La langue du XVIIIe siècle résonne avec majesté dans la petite salle du Lucernaire après avoir enthousiasmé les festivaliers d’Avignon. Ce soir-là, Thomas Sagols était un Arlequin gourmand et attachant, et Emma Gamet, une enfant charmante et vive, joliment indécise. L’expression « marivaudage » est ici parfaitement illustrée.
« La Double Inconstance », au Théâtre du Lucernaire (Paris 6e). Loc. : 01 45 44 57 34.