Demande de titres de séjour : comment la dématérialisation provoque des atteintes massives aux droits des immigrés, selon la Défenseure des droits

Formation interrompue, perte de son travail, cessation des versements de prestations sociales… La dématérialisation des titres de séjour provoque de graves conséquences et des atteintes aux droits, alerte, ce mercredi 11 décembre, la Défenseure de droits, qui note une explosion des réclamations en matière de droits des étrangers en 2024.

Dans son rapport, cette autorité administrative indépendante pointe ainsi les énormes dégâts engendrés par le déploiement un peu plus de cinq ans plus tôt de l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef).

Il s’agit d’un portail web sur lequel un usager peut déposer une demande ou un renouvellement de titre de séjour. Et le bilan dressé par l’institution est édifiant. Depuis de nombreuses années, les associations de soutien aux étrangers et les collectifs de sans-papiers n’ont de cesse d’alerter sur ce sujet. Et pour cause, dans l’immense majorité des cas, ce sont les démarches pour obtenir un titre de séjour et son renouvellement qui plongent les étrangers dans des situations dramatiques, explique la Défenseure des droits, Claire Hédon.

Une « aggravation des difficultés » initiales

Plus alarmant encore : le défenseur des droits pointe le fait que, parmi les personnes qui pâtissent de la dématérialisation, « un nombre croissant » correspond à des étrangers en situation régulière sur le territoire, « parfois depuis de très nombreuses années » et, pour certains, titulaires de titres de séjours pérennes comme des cartes de résidents de dix ans, note le rapport.

De plus, « à rebours de ses ambitions affichées » visant à parer à « l’aggravation des difficultés » initiales, des personnes qui « semblaient relativement épargnées » sont désormais touchées par les graves conséquences de la dématérialisation, cingle l’autorité. En clair, l’État Français prive les personnes de leurs droits et les pousse vers la précarité.

Et plusieurs problèmes concrets en sont à l’origine des dysfonctionnements informatiques qui ne leur permettent pas d’accomplir leurs démarches et notamment d’obtenir des rendez-vous avant de ne plus être en règle administrativement.

Une formation interrompue au bout de deux semaines

Ainsi, le rapport note par exemple l’impossibilité d’ajouter des pièces jointes, de modifier ses coordonnées ou son mot de passe, l’incapacité à réaliser simultanément plusieurs démarches sur la plateforme, figurent dans la liste des défaillances rapportées par les usagers.

Or, faute de pouvoir débloquer leur situation administrative avec la préfecture, certaines personnes perdent leur travail ou subissent des ruptures de droits avec l’interruption de versements de prestations sociales.

Comme Jacqueline, 51 ans, qui a raconté à l’Agence France-Presse que son mari ne parvenait pas à obtenir de rendez-vous à la préfecture de l’Isère pour renouveler son titre de séjour. À cause de sa situation, la formation qu’il effectuait cet automne a été interrompue au bout de deux semaines et il n’a pas été payé, déplore-t-elle, alors que les factures s’accumulent.

« Le choc de simplification n’a pas tenu ses promesses »

Ainsi, l’autorité administrative indépendante explique avoir enregistré une augmentation de 400 %, entre 2020 et 2024, du nombre de réclamations en matière de droits des étrangers. En 2023, le sujet représentait un quart du total des requêtes reçues par l’institution. Il devrait être d’un tiers en 2024 d’après des chiffres provisoires, quand il n’était que de 10 % en 2019, alerte la Défenseure des droits.

La dématérialisation des demandes de titres de séjour avait été expérimentée en 2020 pour les étudiants étrangers avant de leur être imposé l’année suivante. Courant 2023, le recours à ce dispositif était rendu obligatoire pour un plus large public (conjoints et enfants de Français).

Le programme, qui s’inscrit dans le « choc de simplification » des démarches administratives annoncé
en 2013 par l’ex-président François Hollande, « n’a pas tenu ses promesses » de fluidifier les procédures, souligne l’autorité indépendante, déplorant que l’outil informatique ait été déployé « à la hâte au terme d’expérimentations insuffisantes ».

« Il y a moyen d’agir sans changer les règles, c’est une urgence »

« Nous ne disons pas que la procédure ne peut pas être dématérialisée mais il faut l’accompagnement nécessaire. On a réduit les effectifs dans les préfectures beaucoup trop tôt », pointe la Défenseure des droits Claire Hédon, interrogée par l’AFP. Pourtant il « existe des solutions », insiste-t-elle.

L’institution recommande ainsi de permettre le dépôt d’un dossier papier en cas de problème rencontré sur la plateforme. Elle préconise également le renouvellement automatique des attestations provisoires délivrées le temps que les demandes de titres de séjour soient instruites par le préfet. « Il y a moyen d’agir sans changer les règles, c’est une urgence », insiste Claire Hédon.

Ce constat est partagé depuis des années par de nombreuses associations de défense des droits des étrangers qui dénoncent la dématérialisation. Pour la Cimade, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’homme, Caritas, le Syndicat des avocats de France et plusieurs organisations locales de soutien aux personnes étrangères, les préfectures se sont transformées en véritables machines à fabriquer des sans-papiers.

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