Quel est ce magot russe que l'Europe veut utiliser pour armer l'Ukraine ?

Et si les Occidentaux se servaient indirectement de la Russie pour soutenir l’Ukraine ? Depuis l’invasion russe de février 2022, les sanctions contre Moscou pleuvent. Notamment financières : quelque 300 milliards d’euros d'avoirs de la Banque centrale de Russie ont été immobilisés et gelés par l’UE et les pays du G7, selon les chiffres de Bruxelles. La question de leur utilisation pour aider Kiev dans sa guerre contre son voisin honni se pose aujourd’hui avec de plus en plus d’acuité. Mais tout n’est pas si simple.

Ce mercredi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est déclarée favorable uniquement à l’utilisation des «bénéfices exceptionnels des avoirs russes gelés», et ce «pour acheter conjointement des équipements militaires pour l'Ukraine». «Il ne pourrait y avoir de symbole plus fort ni de plus grande utilité pour cet argent que de faire de l'Ukraine et de toute l'Europe un endroit plus sûr où vivre», a déclaré au pupitre du Parlement européen à Strasbourg la patronne de l’exécutif européen, en campagne pour sa réélection.

La proposition d’Ursula von der Leyen ne concerne donc pas les 300 milliards d’euros d’actifs russes immobilisés en dehors du pays. D’une part car, sur ces 300 milliards, seuls 200 milliards sont gelés dans des institutions européennes, principalement chez Euroclear, la première chambre de compensation du Vieux continent, société de dépôt et de règlements transfrontaliers de fonds établie en Belgique. D’autre part parce que la dirigeante allemande parle uniquement des revenus générés par ces actifs. Soit «de 3 à 5 milliards euros de revenus par an», a estimé Bruno Le Maire ce mercredi à São Paulo, en marge d'une réunion du G20 des ministres des Finances au Brésil.

«Pas de base légale»

Le ministre de l'Économie et des Finances français a rappelé que la France avait été à l’origine de cette proposition, en octobre 2023. «Nous sommes en février 2024, la proposition française a été acceptée et mise en place, désormais nous avons l'argent disponible, a déclaré le locataire de Bercy. À quoi emploie-t-on cet argent pour soutenir l’Ukraine ? Je pense que cela doit être discuté. Ursula von der Leyen a proposé que cela serve à l’achat d’armes. Pourquoi pas. Il y a plusieurs options sur la table, il faut que nous y travaillions.»

Pour l’heure, les Européens se sont uniquement mis d’accord, mi-février, sur le gel des profits générés par ces avoirs et sur leur comptabilisation à part. Une décision ouvrant la voie à une «éventuelle mise en place d'une contribution financière au budget de l'UE qui sera perçue sur ces bénéfices nets afin de soutenir l'Ukraine ainsi que son redressement et sa reconstruction à un stade ultérieur», expliquait le Conseil européen le 12 février. Selon les informations de Politico, la Commission européenne devrait présenter à la mi-mars un plan qui détaillera l’utilisation de ces recettes exceptionnelles pour soutenir Kiev.

Malgré les appels du pied de Washington, les Européens restent réticents à saisir la totalité des avoirs russes gelés. «La difficulté, c’est qu’il n’y a pas de base légale», a martelé Bruno Le Maire ce mercredi. «Rien ne serait plus dommageable pour les pays occidentaux que de ne pas agir suivant les règles internationales», a-t-il estimé, jugeant qu’il y avait là un «risque de créer plus de divisions au sein de la communauté internationale», et que l’Europe pourrait se voir reprocher une politique du «deux poids, deux mesures».

Position maximaliste des Etats-Unis

La veille, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, avait elle jugé «urgent» et «nécessaire» de saisir l’entièreté des avoirs russes gelés, «pour contribuer aux efforts de résistance et de reconstruction à long terme de l'Ukraine». «Il y a de forts arguments de droit international, d'économie et de morale pour aller de l'avant», avait-elle insisté lors d'une conférence de presse à São Paulo, réclamant une action conjointe du G7. Le mois dernier au Forum de Davos, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmitro Kuleba, agacé par les prudences occidentales, balayait les «arguments juridiques» et déclarait que «s’il y a la volonté politique, les juristes et les banquiers trouveront la solution».

Les États-Unis ne sont pas les seuls à tenir cette position maximaliste. Le Royaume-Uni, la Pologne et les pays baltes sont également favorables à l'emploi de la totalité des avoirs russes gelés pour l'Ukraine, estimés par Washington à 285 milliards de dollars, soit environ 260 milliards d’euros - moins que les 300 milliards évoqués par Bruxelles. Un haut responsable américain précisait récemment au Figaro la position de l'administration Biden : «Ou la Russie dédommage un jour l'Ukraine, ou ces actifs gelés seront utilisés.» Il remarquait aussi qu' «il y a un an, la plupart des capitales étaient contre la saisie des profits des avoirs gelés, et que les positions ont évolué depuis». Le même cheminement va-t-il se répéter concernant la saisie de tous les avoirs russes gelés ?