Avec László Krasznahorkai, prix Nobel de littérature 2025, l’Europe centrale à l’honneur

Il y a quelques heures, on se demandait toujours quel auteur allait sortir du chapeau de l’Académie suédoise. Les bookmakers anglo-saxons y étaient allés de leurs paris, hésitant jusqu’au dernier moment entre le Roumain Mircea Cărtărescu, l’Australien Gerald Murnane, l’Indien Amitav Ghosh et le Hongrois László Krasznahorkai. Quatre hommes, car depuis les scandales sexuel et financier qui ont secoué le Nobel en 2018, le jury pratique pour son palmarès une alternance entre auteurs masculins et féminins. Cela n’avait pas empêché certains de tout de même miser sur la mexicaine Cristina Rivera Garza, la canadienne Anne Carson et la chinoise Can Xue. Et puis, à 13 heures, le nom du lauréat est tombé : László Krasznahorkai.

«C’est un grand écrivain épique de la tradition d’Europe centrale qui s’étend de Kafka  à Thomas Bernhard», a indiqué le jury du Nobel et dont la plume se caractérise par «l’absurdisme et l’excès grotesque», d’une «œuvre convaincante et visionnaire qui, au cœur de la terreur apocalyptique, réaffirme le pouvoir de l’art».

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Les bookmakers avaient donc vu juste. László Krasznahorkai, 71 ans, est né à Gyula, dans le sud-est de la Hongrie, près de la frontière roumaine. Une région rurale isolée qui servit de décor au premier roman de Krasznahorkai, Le tango de Satan, publié en 1985, véritable événement littéraire en Hongrie et qui marqua son entrée dans la cour des grands. Le roman a été adapté par Béla Tarr et par lui-même en 1994. Avec cette prestigieuse récompense, László Krasznahorkai devient le second écrivain hongrois nobélisé, après son ami Imre Kertész, en 2002. Une dizaine de ses romans ont été traduits en français (notamment Guerre & Guerre) chez Gallimard et aux éditions Cambourakis.

Une œuvre solide

Chaque année, entre septembre et janvier, l’Académie reçoit quelque 300 propositions écrites de candidatures émanant d’anciens lauréats, académiciens, organisations et autres professeurs du milieu littéraire et linguistique – à savoir qu’on ne peut défendre sa propre candidature. Cette liste est alors réduite, dans le plus grand secret, passant d’une dizaine à cinq auteurs seulement, avant le choix d’un unique lauréat.

Concernant les conditions d’admission, pour que la candidature de l’auteur en lice soit valable, il faut que ce dernier ait publié un livre dans l’année, dans sa langue d’origine ou en traduction. Bien qu’il s’agisse parfois plus d’un usage qu’une obligation... En outre, la tradition veut que l’auteur élu ait une œuvre solide et qu’il ait déjà figuré dans une short list. Il n’existe pas de limite d’âge (Rudyard Kipling était le plus jeune lauréat à 41 ans, Camus lui, en avait 44, quant à Doris Lessing, elle fut la plus âgée des lauréates à 87 ans). Enfin, un écrivain ne peut plus se voir décerner le prix à titre posthume depuis 1974.

Avec cette nouvelle attribution, et compte tenu de l’alternance homme-femme que s’applique à suivre le jury Nobel, restent les noms décidément maudits de la Chinoise Can Xue, des Canadiennes Anne Carson et Margaret Atwood (âgée de 85 ans, qui s’apprête à publier ses Mémoires (Book of Lives: A Memoir of Sorts). Citons également le portugais Antonio Lobo Antunes, le très populaire Japonais Haruki Murakami (76 ans). En outre, le Nobel n’a pas souhaité accorder son premier Nobel brésilien à Milton Hatoum (73 ans), ni donner de second Nobel à l’Australie avec Gerald Murnane, pourtant favori des bookmakers (le seul lauréat, Patrick White, l’avait obtenu en 1973).

Un succès de librairie assuré

C’est ainsi, la liste des candidats malheureux ne cesse de s’allonger. Il y avait eu Yves Bonnefoy, Aragon et René Char, Henry James, Virginia Woolf et James Joyce, les Italiens Italo Svevo, Pier Paolo Pasolini, l’argentin Jorge Luis Borges et, il y aura donc, et encore, Don DeLillo (88 ans), Stephen King (78 ans) comme Joyce Carol Oates (87 ans), dont la première attestation du nom sur la liste des favoris remonte tout de même à 1979 !

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En 2024, le prix Nobel de littérature avait été décerné à la Sud-Coréenne Han Kang pour son « œuvre [qui] se caractérise par cette double exposition de la douleur, une correspondance entre tourment mental et tourment physique étroitement liée à la pensée orientale.» Elle devenait à 53 ans la dix-huitième femme sur les 116 prix Nobel de littérature à recevoir ledit prix et la première auteure sud-coréenne à obtenir cette distinction. En France, ce prix a multiplié par quatre ses ventes (passant de 12 402 avant le prix Nobel, à plus de 48 000 après, chez Grasset).

En 2023, le prix Nobel de littérature avait été décerné au dramaturge norvégien Jon Fosse «pour ses pièces de théâtre et sa prose novatrices qui ont donné une voix à l’indicible». Fait notable : alors que l’auteur n’avait vendu que 979 exemplaires entre octobre 2021 et septembre 2023 chez son éditeur français Bourgois, après ladite récompense, il en avait vendu 7530. Soit quasiment huit fois plus. En 2022, Annie Ernaux était adoubée par le jury, multipliant, pour sa part, par quatre les ventes de ses livres chez Folio (environ 800 000 exemplaires de tous ses Folio ont été écoulés depuis).

Avec ce prix, László Krasznahorkai repart avec la coquette somme de 11 millions de couronnes suédoises, soit près d’un million d’euros.