Pour saluer Lothar Trolle
On peut dire de Lothar Trolle, né en 1944 à Brücken (Rhénanie-Palatinat), mort à Berlin le 31 mars, qu’il a poussé la langue allemande dans ses derniers retranchements. Conteur, poète, auteur dramatique, traducteur (notamment des pièces, farouchement hors des clous officiels, du soviétique Danil Harms), Trolle a fait preuve, dans sa vie et son œuvre, d’une singularité sardonique hors du commun.
Entre autres métiers pour gagner son pain, il fut machiniste de théâtre. Il commence d’écrire en 1970, après des études de philosophie du marxisme-léninisme à l’université Humboldt de Berlin Est. En 1997, les éditions Théâtrales publiaient de lui, en un même volume, Berlin fin du monde, Berlin fin du monde II et les 81 minutes de Mademoiselle A. Berlin II, par exemple, s’ouvre sur une scène de meurtre, commis au moyen de chopes de bière massivement ingurgitées sur ordre de SA hitlériens. La suite, en cinq séquences, composée d’effrayantes images de la fin de guerre en 1945, de longues citations de poètes d’Allemagne et de brèves scènes brutalement balancées, révèle à la perfection les fondements de ce que l’on peut définir, à juste titre, comme une écriture prophétique sans merci.
« J’utilise des histoires comme celle du déluge, pour réapprendre à dialoguer et à rêver »
C’est dans l’Allemagne qu’il eut sous les yeux et en mémoire, depuis l’Est, que Lothar Trolle a tiré son inspiration, en un temps de plaies atroces encore franchement ouvertes. La figure de Noé lui importait beaucoup. « J’utilise des histoires comme celle du déluge, a-t-il déclaré, pour réapprendre à dialoguer et à rêver ». La Bible et la mythologie grecque lui étaient familières.
L’une de ses pièces a pour titre Hermès dans la ville. La ville, c’est Berlin, soumise sans répit à des situations à la fois cruelles et farcesques. Les faits divers dans les journaux parlaient fort à Lothar Trolle. Il sut les mettre à profit dans son théâtre, en bousculant les règles coutumières. Chez lui, la fable est volontiers éclatée, les dialogues sont en morceaux, le personnage comme tel, dans sa logique immuable, disparaît, tandis que la scène et la salle ne sont plus des zones ouvertement délimitées.
Au fil de cette dramaturgie à l’emporte-pièce, il conserve néanmoins les indications scéniques dans ses textes, ouvrant ainsi la porte à de forts contrepoints visuels au cœur de la mise en scène. De ce poète dramatique iconoclaste, qui pensait que le théâtre ne survivra que s’il demeure nécessaire « rien qu’à cause de la langue », Heiner Müller, son compatriote de RDA, a pu écrire : « Il a le pressentiment d’une terreur définitive, qui noircit la toile de fond de ses clowneries ». C’était là, de la part d’un connaisseur, une belle épitaphe anticipée.
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