En dix ans, les pays en développement ont collecté 9 milliards de dollars grâce aux «inspecteurs des impôts sans frontières»
De la France au Togo, pour Florian Guilbert, auditeur à la Direction nationale des enquêtes fiscales, il n’y a qu’un pas. Cet « inspecteur sans frontières » a apporté son expertise à l’Office togolais des recettes pour mieux collecter l’impôt sur les sociétés. Une expérience de terrain qui lui a « beaucoup apporté sur le plan humain », témoigne le fiscaliste dans le rapport annuel de l’Initiative Inspecteurs des impôts sans Frontières (IISF). Ce projet lancé en 2015 sous l’égide de l’OCDE et des Nations unies visait à aider les pays en développement à améliorer des systèmes fiscaux souvent défaillants, à lutter contre l’évasion fiscale et s’attaquer aux excès d’optimisation des grandes entreprises internationales.
Conséquence de quoi, c’est leur talon d’Achille, ces états pâtissent de recettes fiscales très limitées. La raison tient aussi au poids souvent conséquent de l’économie informelle. Ainsi, en Afrique, le ratio moyen impôts sur PIB n’atteignait en 2023 que quelque 15%, contre 33,9% pour la moyenne des pays de l’OCDE. Et pourtant, souligne le rapport, les ressources domestiques représentent la première source de financement du développement, cruciale pour lutter contre la pauvreté. « La fiscalité constitue un levier fondamental pour le bien-être socio-économique des citoyens », appuie Bob Hamilton, président du forum sur l’administration de l’impôt.
Passer la publicitéEn une décennie, l’IISF a collaboré avec 27 États partenaires, principalement des économies développées, sur 155 programmes dont 90 en Afrique. Cela a permis aux 70 juridictions aidées « de percevoir 2,4 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires, et procéder à des redressements fiscaux se chiffrant à 6,4 milliards de dollars », s’enorgueillit le rapport. Sur le volet lutte contre l’évasion fiscale, l’initiative a notamment accompagné le Costa Rica, les Maldives et le Pakistan dans 29 affaires pénales.
Au Nigeria, un laboratoire judiciaire numérique a été créé afin de collecter et présenter devant les tribunaux des preuves de fraude fiscale. Un enjeu de taille pour l’un des états les plus corrompus au monde, classé 140 sur 180 par l’ONG Transparency International. Selon l’IISF, les pots-de-vin représentaient 0,4% du PIB nigérian en 2023. Pour ce pays dont l’économie repose en grande partie sur la rente pétrolière, l’assistance de ces fiscalistes sans frontières permet de mieux détecter la fraude dans les secteurs du pétrole et du gaz.
La France, partenaire historique
Si l’Afrique est le continent qui a le plus bénéficié du programme - 1,91 milliard de dollars récoltés - l’initiative a également porté ses fruits en Asie. Le Sri Lanka a intégré les recommandations de l’IISF dans sa réforme fiscale nationale. Depuis le changement de législation, la Perle de l’Océan Indien a renforcé ses capacités à lutter contre l’évasion fiscale tout en augmentant cette année son taux d’imposition sur les sociétés.
Partenaire historique de l’IISF, la France s’est investie dans une dizaine de programmes, en majorité sur le continent Africain : au Bénin, au Cameroun, au Sénégal… Une collaboration plus politique qu’elle n’en paraît, permettant de « maintenir, renforcer et parfois créer des relations bilatérales durables », avance Amélie Verdier, directrice générale de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP). Sur le terrain, les experts internationaux travaillent étroitement avec les équipes locales, dans un souci de pédagogie et de « transfert de compétences », insiste Adèle Liéber, en charge des relations internationales à la DGFiP.
Coopération Sud-Sud
Malgré les progrès réalisés, le rapport précise que dans de nombreuses juridictions les recettes fiscales demeurent « bien inférieures aux niveaux requis pour atteindre les objectifs de développement durable. » L’IISF s’efforce d’élargir ses champs d’expertise et propose des services de plus en plus spécialisés, notamment sur la numérisation des administrations fiscales, levier très efficace contre la fraude fiscale, et le contrôle de la TVA sur le commerce numérique.
Passer la publicitéPour la décennie à venir, l’IISF appelle à nouer de nouveaux partenariats tout en développant une coopération triangulaire. Le fisc brésilien est par exemple intervenu en Angola afin de créer et renforcer une unité spécialisée dans les prix de transfert (prix pratiqués entre filiales d’un même groupe). Un programme pilote sur l’impôt minimum mondial - fixé depuis l’adoption d’une réforme internationale à 15% - et un mentorat afin de féminiser la profession dans les pays en développement sont également en préparation.