Il fallait oser. Oser raconter l’histoire d’une jeune femme musulmane pratiquante et homosexuelle. Oser choisir une actrice inconnue pour l’incarner. Et oser la mettre de tous les plans. Pour son troisième film comme réalisatrice, Hafsia Herzi affirme son talent et prouve qu’elle n’a pas froid aux yeux. Rien d’étonnant pour une actrice lancée en 2007 par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet, qui lui a valu le César du jeune espoir féminin, récompensée en 2021 à Un certain regard, à Cannes, pour sa deuxième réalisation, Bonne mère, et César de la meilleure actrice pour Borgo (2025).
Fatima (Nadia Melliti, Prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes) est une bonne élève de terminale d’origine algérienne. Dans l’appartement de banlieue, elle partage son quotidien avec sa famille plus « traditionnelle » qu’elle. Aux tuniques orientales de ses sœurs, Fatima, fan de foot, préfère les tee-shirts sportifs, les sweats à capuche et une casquette. Et loin des talents culinaires de sa mère dévouée aux siens, elle excelle à l’école avant d’intégrer une fac de philosophie. De plus, Fatima a un secret : elle découvre son penchant pour les filles quand les femmes de sa fratrie la titillent sur tout ce qu’elle ne saura pas faire pour son futur mari. Ambiance.
Passer la publicitéLe défi de l’adaptation
Le film de Hafsia Herzi, La Petite Dernière, est adapté du roman éponyme de Fatima Daas. Un défi pour celle qui a l’habitude d’écrire ses propres récits. Elle en a donc fait une transposition très libre qu’elle a découpée selon les saisons, un procédé qui lui permet de montrer le temps qui passe et d’user de quelques ellipses. On lui pardonnera quelques scènes répétitives de soirées festives tant elle maîtrise son sujet et sa façon de le traiter. Ce qu’elle donne avant tout à voir, c’est la volonté d’une fille de 17 ans qui cherche à l’extérieur ce qu’elle ressent à l’intérieur. Sans fuir malgré les obstacles. Un chemin qu’elle fera un pas après l’autre.
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Mal à l’aise dans un milieu lesbien dont elle ignore tout, Fatima brouille les pistes. D’origine algérienne, elle prétend plusieurs fois être égyptienne, et s’invente même sept frères. En flirtant avec une jeune femme d’origine allemande avant de coucher avec une Coréenne, la réalisatrice nous dit que l’amour n’a pas de frontières. Et en la consacrant première de la classe, elle démontre que l’éducation peut ouvrir des portes que certains n’osent pas franchir.
Douceur et empathie
En filmant le plus souvent son héroïne en gros plan, Hafsia Herzi ne nous laisse pas d’autre choix que de pénétrer son intimité. Une gageure pour un sujet capable de déclencher une grande violence dans les familles musulmanes confrontées au sujet. Mais elle le fait avec douceur et empathie. Usant de lumières sensuelles sans trop d’artifices. Commençant par le printemps et terminant par cette même saison, synonyme d’éclosion.
Loin de la chronique dogmatique, ce récit universel permet à Hafsia Herzi de donner naissance à une petite sœur tout en s’affirmant comme une excellente portraitiste de l’âme. Tout est vivant, tout semble vrai dans ce film qui aurait mérité le prix de la mise en scène sur la Croisette. Bonne nouvelle : la cinéaste n’a que 38 ans et le temps long devant elle.