Au Mexique, dans la maison-atelier d’un architecte

Amatepec est une petite ville rurale, située à deux heures de route de Mexico. Montagneuse, la région est appréciée des randonneurs comme des amateurs de VTT. Peu touristique, elle a su conserver son authenticité et ses traditions culturelles entre fêtes locales et processions religieuses, notamment celles dédiées à la Vierge de Guadalupe. Autant de raisons qui ont amené Manuel Cervantes à s’installer en ces lieux. «J’avais besoin de prendre du recul, envie d’un quotidien plus serein», assure-t-il. Sa maison, située à flanc de colline, offre des vues spectaculaires sur le paysage alentour vallonné. Érigée sur cinq étages, elle s’adapte à la typologie du terrain pentu. Contrairement aux apparences, la bâtisse est divisée en deux parties, l’une destinée à la vie de famille du propriétaire, avec sa femme et leurs trois enfants de 8 ans, 2 ans et 3 mois, surplombée d’un logement locatif. L’autre s’avère une dépendance de son agence d’architecture - son studio principal étant bien entendu basé dans la capitale.

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Le niveau le plus bas de la maison est réservé à son activité professionnelle. Une sorte d’immense boîte en béton, haute de plafond et dotée de baies vitrées. Richard Powers/ Living Inside
Richard Powers/ Living Inside
Richard Powers/ Living Inside

Manuel Cervantes est en effet bâtisseur, et l’édifice, son œuvre. «La partie privée est ainsi composée: les chambres s’ouvrent sur une salle familiale mélangeant salle à manger et cuisine ouverte, notre cadre de vie. C’est là que nous nous retrouvons. La plupart des pièces disposent de patios extérieurs qui, grâce au climat doux de la région, se font l’extension des espaces intérieurs.»

L’architecte peut non seulement recevoir ici ses amis le temps d’un week-end, mais également faire usage de sa demeure dans un cadre professionnel. Située au niveau le plus bas de la maison, la succursale de son agence est une sorte d’immense boîte en béton, dotée d’une hauteur sous plafond de 4,8 mètres, dont l’arrière est vitré, quand le sol est en pierre de lave. Ce cadre rigoureux et austère permet de théâtraliser maquettes et prototypes. La partie la plus créative étant réalisée à son studio, à domicile, à l’abri des interruptions constantes des collaborateurs et autres coups de fil impromptus. «Je déteste l’ambiance du bureau. J’ai donc voulu un espace où je puisse convier mes clients afin qu’ils profitent d’une interaction plus personnelle avec nos réalisations. Il est difficile de leur présenter notre vision du design quand ils ne peuvent pas l’expérimenter.»

Ce cadre rigoureux et austère permet d’exposer maquettes et prototypes. Richard Powers/ Living Inside
Richard Powers/ Living Inside

Depuis ses débuts, en 2004, Manuel Cervantes a travaillé dans quatre continents différents et sur une grande variété de typologies, allant de l’échelle du logement social aux infrastructures de transport public, en mettant l’accent sur plusieurs projets résidentiels, hôteliers, commerciaux et culturels. Il œuvre actuellement sur des projets de logement temporaire. «Nous sommes un petit studio divisé en quatre ou cinq équipes, indépendantes les unes des autres, chacune développant ses propres projets dans différentes régions. Grâce à cette méthode de travail, les architectes de mon équipe ont l’occasion d’appréhender le processus complet d’un projet, de la conceptualisation à sa construction, en passant par l’étape d’échanges avec les clients. J’insiste beaucoup au bureau sur le fait que les gens doivent vivre le cycle d’un travail, même s’il est long, car si, en tant qu’architecte, on ne maîtrise pas l’ensemble du processus, cela ne fonctionne pas. L’objectif premier de l’architecture est de construire afin de célébrer la vie humaine.»

Sa propre maison illustre la haute estime qu’il porte à son métier, son appréciation de sa pratique: «Je ne m’attache pas vraiment à développer un style, j’explore l’architecture. Je me concentre davantage sur la matérialité et l’expérience humaine, sans véritable intention esthétique claire. La façon dont les gens vivent les lieux m’affecte plus que les questions formelles.» Chaque projet relève d’un processus de réflexion par rapport à un site spécifique, aux matériaux locaux, aux besoins des utilisateurs et à une donnée économique.

Richard Powers/ Living Inside
La majorité des pièces disposent de patios extérieurs, prolongements naturels des espaces intérieurs. Richard Powers/ Living Inside
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Morceaux de bois, pierres, végétaux séchés… le designer aime exposer dans des boîtes en verre tout fragment de la nature trouvé lors de ses promenades. richard powers/Living Inside
Richard Powers/ Living Inside

Il n’empêche que sa très spectaculaire demeure en béton s’inscrit dans une démarche brutaliste. L’utilisation extensive du bois, y compris pour les poutres en bois massif qui chevauchent le plafond du salon, est une constante dans le modernisme mexicain, et ce, depuis Luis Barragán (1902-1988). Quant aux propos contextuels de Manuel Cervantes, ils reflètent l’actuelle quête de durabilité et de conception respectueuse de l’environnement, incontournables pour une jeune génération d’architectes. «Particularité locale, en raison des tremblements de terre, les structures des actuelles constructions au Mexique sont vastes, denses et robustes.» D’où l’aspect un brin emphatique du battement. La maçonnerie de couleur cannelle apporte texture et dynamisme aux espaces, tandis que de grandes dalles de basalte sombre sont utilisées pour les sols et les escaliers. «Il était important pour moi d’utiliser des matériaux locaux, car je veux relier l’atmosphère d’un lieu à sa culture.» L’intégration de la lumière naturelle et la ventilation sont également des éléments clés de la conception du bâtiment. La plupart des fenêtres courent sur toute la hauteur des murs, permettant à la brise de circuler dans les pièces, et chaque espace est relié à des patios extérieurs. «Les meubles ici présents, je les ai rassemblés au fil des ans ; il s’agit principalement de pièces conçues par des artistes et des designers mexicains.» La maison est également pleine de livres sur les étagères, de photographies aux murs, de sculptures disposées ici et là. Des morceaux de bois, des pierres et des végétaux séchés trouvés lors de balades dans les alentours sont exposés dans des boîtes en verre, rassemblés également sur des tables sous forme de natures mortes. «Je suis un peu collectionneur. Pas pour le plaisir d’accumuler, plutôt comme des souvenirs.»