C’est un bouleversement de taille pour le monde longtemps si décrié des cryptomonnaies. Dans une décision très attendue, le gendarme des marchés financiers américain, la Securities and Exchange Commission (SEC) a approuvé la commercialisation de produits d’investissements basés sur le Bitcoin, appelés des fonds indiciel coté (ou en anglais Exchange Traded fund, ETF). Ces fonds, cotés à Wall Street, suivront au plus près la performance de la première et plus célèbre des cryptomonnaies, dont la valeur a progressé de près 160% en 2023. L’autorisation de ces ETF permettra à des institutionnels et des particuliers d'investir facilement dans cette cryptomonnaie à travers des produits d’épargne réglementés, sans devoir détenir directement des bitcoins.
La décision est historique à plus d’un titre. Jusqu’à présent la SEC avait toujours refusé d’autoriser de tels produits d’investissements «au comptant», c'est-à-dire avec une exposition directe au bitcoin, au motif que les risques de manipulation de marché étaient trop importants, et que les émetteurs potentiels seraient incapables de protéger les investisseurs. Plusieurs acteurs s'y sont cassé les dents ces dernières années, dont Grayscale, 21Shares ou Arkinvest. Seuls les ETF basés sur des contrats à terme étaient donc jusqu’à présent autorisés outre-Atlantique.
L’arrivée d’institutionnels change le jeu
Or les arguments de la SEC pour s’opposer aux ETF Bitcoin au comptant ont perdu de leur force au cours des années, tant et si bien qu’un tribunal américain les avait été jugé insuffisants à l’été 2023, après avoir été saisi par Grayscale. La volatilité du Bitcoin a également beaucoup diminué en 2023, avant de remonter en toute fin d'année. Le scandale de la plateforme d’échange FTX et le tour de vis réglementaire opéré en 2022 et 2023 sur de nombreux acteurs du monde de la crypto ont permis à la fois de faire le tri et de professionnaliser le tout. Surtout, l’arrivée dans le jeu de géants de la gestion d’actifs venus du monde de la finance traditionnelle, comme BlackRock, VanEck, Fidelity et Franklin Templeton, a changé la donne. Fin décembre, tous ces institutionnels ont détaillé les dispositions prises par chacun d'eux avec leurs teneurs de marché pour garantir la liquidité et l'efficacité des transactions.
L’adoubement de ces nouveaux produits d’investissement réglementés est une révolution pour les cryptomonnaies. «Les ETF Bitcoin rejoignent ainsi les 7 500 milliards de dollars d'actifs actuellement répartis dans plus de 3 000 ETF rien qu'aux États-Unis, et vont favoriser l'accès des investisseurs à cette jeune classe d'actifs digitaux.» résume Ben Laidler, stratégiste pour eToro.
Afflux de demandes
Des milliers d'Américains vont pouvoir investir dans le Bitcoin, en l’intégrant s’ils le souhaitent dans des produits d’épargne, sans devoir en détenir directement. Jusqu'à présent, les particuliers désireux d’investir dans le Bitcoin devaient passer par des plateformes d’échange, avec une expérience utilisateur complexe et les risques associés. Huit d’entre elles s'appropriaient 90% des volumes d'échange mondiaux, selon la société de données crypto Kaiko Research. Le marché va maintenant attirer de grands institutionnels, désireux de diversifier leurs investissements et de profiter des rendements offerts par le Bitcoin. «Les cryptomonnaies ont été de loin la classe d'actifs la plus performante de 2023», rappelle Ben Laidler.
En 2023, les entrées de capitaux dans les produits d'investissement en crypto ont atteint 2,2 milliards de dollars, selon le gestionnaire britannique Coinshares. Or l’arrivée de titans de la finance comme BlackRock, qui construisent des portefeuilles d'investissement répliqués ensuite par de nombreuses institutions va accroître mécaniquement la demande en bitcoins. Selon les analystes de Standard Chartered, les nouveaux ETF Bitcoin Spot pourraient attirer 50 à 100 milliards de dollars de capitaux dans le secteur rien qu’en 2023. D'autres les estiment plus proches de 55 milliards de dollars sur cinq ans.
Mais l’offre de Bitcoin étant par définition limitée - il n’y en aura jamais plus que 21 millions à terme selon l’algorithme défini par son créateur Satoshi Nakamoto - , cet afflux de demande peut avoir un impact sur le cours de la cryptomonnaie que les prochaines semaines permettront de mesurer. Car les sociétés de gestion qui proposent ces ETF doivent, elles, acheter des Bitcoins. Mercredi, à l’annonce de l’approbation, le cours du Bitcoin a stagné autour de 45.000 dollars (soit environ 41.000 euros). Dans son sillage, l’Ethereum restait autour de 2000 dollars. Les investisseurs anticipent déjà le fait que des ETF Ethereum Spot seront eux aussi prochainement autorisés.
Bataille féroce en perspective
La bataille s’annonce féroce entre la douzaine de sociétés qui vont se disputer ce nouveau gâteau des ETF bitcoin spot. Elle se joue d’ores et déjà sur les frais qui seront appliqués aux investisseurs. D'un côté, les géants de la gestion d'actifs BlackRock, VanEck, Fidelity, et Franklin Templeton ont annoncé des frais d’entrée autour de 0,3%. Les «pure players», ceux qui se sont spécialisés dès leur création sur les cryptoactifs comme Bitwise et Galaxy, font valoir leur crédibilité de longue date dans le domaine pour affirmer qu'ils sont les mieux placés pour rafler de bonnes parts de marché malgré des frais plus élevés.
Pour l'heure, le mieux positionné semble Grayscale, qui opère dans le secteur depuis plusieurs années grâce à d’autres produits en crypto. L'entreprise détient environ 3 % des bitcoins mondiaux. Les centaines de milliers de clients qui détiennent aujourd'hui des actions de son «trust» deviendront automatiquement propriétaires de l'ETF Grayscale. Nombre de ces clients hésiteront à la quitter pour un autre fournisseur, car cela les obligerait à payer des impôts sur les plus-values.