Notre critique de Spectateurs !, la fade leçon du professeur Desplechin

Notre critique de Spectateurs !, la fade leçon du professeur Desplechin

Milo Machado-Graner dans Spectateurs ! Les Films du Losange

CRITIQUE - Le docufiction du réalisateur d’Un conte de Noël en forme de déclaration d’amour au cinéma manque singulièrement d’allant. Préférez-lui ses films !

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Il faut parfois se méfier du point d’exclamation. Ce signe de ponctuation a tendance à surjouer les émotions, à surligner la joie ou la stupeur, l’enthousiasme ou la crainte. Il peut sonner aussi faux que le « You know what ? I am happy », de Droopy, le chien de Tex Avery à la mine d’enterrement.

Spectateurs ! manque d’allant. Arnaud Desplechin, cinéaste cinéphile et cérébral, n’est pourtant pas un triste sire. Son cinéma est bourré d’affects, d’humeurs, de sentiments. De romanesque. Et Spectateurs !, objet hybride au croisement du documentaire, de l’autobiographie, de l’exercice d’admiration et de l’essai, ne manque pas de lyrisme dans sa partie fictionnelle. Le réalisateur de Comment je me suis disputé… et d’Un conte de Noël remet en scène son alter ego, Paul Dédalus (le jeune Milo Machado-Graner d’Anatomie d’une chute), pour raconter ses souvenirs d’enfance et de cinéma. Un peu à la façon de Steven Spielberg dans The Fabelmans, avec Roubaix en toile de fond.

Quand la grand-mère de Paul (Françoise Lebrun) l’emmène au cinéma avec sa sœur voir Fantômas, le faisceau lumineux du projecteur le fascine. Plus tard, il découvre Jours de colère de Dreyer avec ses parents. Il ment sur son âge pour voir Cris et chuchotements d’Ingmar Bergman : un choc. Il y aura le ciné-club du collège, les films de Coppola pour vaincre sa timidité et parler aux filles à la fin de la séance, les cours très théoriques de Pascal Kané (Micha Lescot), à la fac de Censier…

Un film de commande

Ces séquences interrompent la leçon de cinéma du professeur Desplechin, à moins que ce ne soit l’inverse. Le cinéaste remonte aux origines (la photographie, le cinématographe des frères Lumière) pour dérouler une histoire moins intime que philosophique du septième art. De nombreux extraits illustrent le cours magistral : Napoléon d’Abel Gance, Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, Die Hard de John McTiernan, Terminator 2 de James Cameron, Les Cheyennes de John Ford (« il filme en pleine lumière un peuple parqué dans l’ombre »)… Ces œuvres n’appartiennent pas forcément à son panthéon personnel, à la différence de Shoah de Claude Lanzmann, « film-monde » évoqué ici notamment à travers un entretien avec l’universitaire Shoshana Felman.

« Spectateurs ! » est un film de commande. Une idée de producteur. Cela n’a rien de dégradant. Cela explique sans doute la gêne de Desplechin, bien plus libre et excitant quand il ouvre le champ des possibles à travers la fiction

Déclaration d’amour à la salle de cinéma nostalgique et compassée (parfum érotique de la salle obscure, cocon protecteur et fenêtre sur le monde, solitude du spectateur au sein d’une communauté…), Spectateurs ! peine à transmettre la jubilation de Desplechin à voir et à faire des films - pardon, « à habiter la question du cinéma ».

Spectateurs ! est un film de commande. Une idée de producteur. Cela n’a rien de dégradant. Cela explique sans doute la gêne de Desplechin, bien plus libre et excitant quand il ouvre le champ des possibles à travers la fiction. Bonne nouvelle, le cinéaste a achevé le tournage de son nouveau long-métrage, Une affaire, avec Nadia Tereszkiewicz et François Civil en virtuose du piano. C’est sans doute la meilleure façon de faire revenir les spectateurs en nombre dans les salles.