«J’ai acheté plusieurs milliers de sacs» : le Japon, eldorado pour les fans de seconde main de luxe

«La mode se démode, le style jamais», disait Gabrielle Chanel. Au Japon, le style s’impose avec force. Montres et sacs iconiques soigneusement préservés ornent les vitrines des quartiers huppés de Tokyo. Avec 36,8 millions de visiteurs en 2024, l’archipel nippon a retrouvé son attrait — et séduit bien des passionnés de mode venus chercher la perle rare.

Un engouement marqué par la montée en puissance du marché du luxe d’occasion. Des géants comme LVMH enregistrent dans l’archipel une croissance annuelle de 20 à 30 % depuis plusieurs années. «C’est un pays qui est très intéressant», assure Anne Bouyssou, 48 ans, ancienne acheteuse dans de grandes maisons de mode et qui a cofondé il y a deux ans la première entreprise française de vente de pièces de luxe de seconde main sourcées exclusivement au Japon. Un avis que partage May Berthelot, 34 ans, juriste en droit des activités numériques et la propriété intellectuelle pour qui «c’est un pays pionnier dans la seconde main». Mais quel est donc son secret ?

Un marché mûr et organisé

Sur le territoire japonais, la préservation des objets relève presque de l’art. Montres, sacs, vêtements, chaque pièce est traitée avec une attention méticuleuse, perçue comme un héritage à part entière, digne de respect et de soin. Il ne s’agit pas simplement d’entretien mais d’un hommage à l’histoire que l’objet porte en lui. Ici, le luxe d’occasion y est profondément enraciné, bien avant que cette tendance ne gagne l’Occident. Pour May Berthelot, également influenceuse spécialisée dans les pièces griffées, le marché de seconde main est totalement différent de chez nous et «beaucoup plus dans les mœurs».

Préparer son voyage
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Un ancrage culturel qui s’appuie sur un système de contrôles rigoureux. La législation japonaise, particulièrement stricte en matière de faux, élimine presque toute copie. «C’est nouveau de trouver de la contrefaçon», assène Anne Bouyssou. De son côté, May Berthelot, qui a dirigé la lutte anti-contrefaçon chez Vinted, avoue avoir eu «un doute sur des superfakes [des articles contrefaits parfaitement reproduits, NDLR] dans une ou deux boutiques à Tokyo». Un cas qui reste cependant rare. Ce niveau d’exigence contribue d’ailleurs à faire du Japon un acteur majeur à l’échelle mondiale. Le marché pourrait atteindre un chiffre d’affaires de 27 milliards de dollars d’ici 2030, selon le cabinet de conseil EY.

Des boutiques devenues des destinations à part entière

Les enseignes stars de la seconde main japonaise s’appellent Brand Off, Ragtag, Komehyo, Daikokuya, Amore Vintage ou encore Book Off Super Bazaar. Certaines sont plus connues que d’autres, à l’image d’Amore Vintage à Shibuya, qui séduit une clientèle variée, des touristes aux célébrités comme Jennifer Lopez. Dès que l’on franchit l’entrée d’une des boutiques du groupe, impossible de ne pas être happé par les néons, le décor rose bonbon et l’ambiance résolument girly, presque hypnotique.

Et ces lieux sont visités comme des temples du shopping par les touristes. Ils offrent une expérience à part entière, une immersion dans le patrimoine du style japonais. Qui mieux qu’un voyageur curieux peut apprécier cette alliance parfaite entre mode, culture et qualité ? Preuve en est, selon nos confrères de The Business of Fashion, la boutique Komehyo a enregistré une hausse de 34,5 % de ses ventes mode au cours du trimestre 2024. Certains n’hésitent pas à parcourir des milliers de kilomètres pour poser leurs yeux sur ces pièces de luxe, trésors de savoir-faire.

Pourquoi les touristes s’y ruent ?

Anne Bouyssou et sa fille Lisa ont fondé GD House, une entreprise en ligne spécialisée dans la vente d’articles de luxe de seconde main dénichés au Japon. Anne Bouyssou

Au «pays du Soleil-Levant», les pièces de luxe sont souvent plus accessibles qu’en Europe, grâce à des facteurs comme la dépréciation du yen et la détaxe, mais pas seulement. Ici, le plus petit défaut peut influencer les prix de revente, de quoi faire saliver les chasseurs de bonnes affaires. Dont Anne Bouyssou et sa fille Lisa qui ont lancé leur boutique en ligne. «J’ai acheté plusieurs milliers de sacs», s’exclame la quinquagénaire, qui passe six mois par an au Japon. «C’est un peu comme un escape game». Parmi tous ces trésors, une seule pièce a trouvé sa place dans son dressing. Un sac Chanel Paris-Londres de la collection 2008, en cuir et veau velours, orné d’un drapeau Union Jack, obtenu pour 490 euros chez le revendeur Brand Off. Et pour sa garde-robe ? «J’achète 90 % de mes vêtements de seconde main dans l’Archipel», révèle-t-elle.

Experts, articles en excellent état, certificats d’authenticité… «C’est un vrai gage de sûreté». Mais parfois, dans cet océan d’objets précieux, il peut être difficile de faire le tri. «Les bonnes affaires se trouvent en dehors de Tokyo», explique la quinquagénaire. Plutôt que de se rendre dans les boutiques les plus connues de la capitale, il est préférable de se tourner vers des villes comme Nagoya, où les offres sont plus compétitives.

Un voyage dans l’archipel, c’est une aventure qui exige préparation et réflexion. Sur ses réseaux sociaux, May Berthelot recommande de «définir à l’avance les pièces que l’on souhaite acquérir» et «d’établir un budget en se basant sur les prix moyens pratiqués dans son propre pays». Par exemple, un modèle comme le Timeless Medium de chez Chanel, en seconde main, peut se négocier autour de 3500 € au Japon, tandis qu’en Europe, son prix avoisine plutôt les 4500 €. Et, la clé réside dans la patience, «Il faut quand même bien chercher», confie la jeune femme, un avertissement qu’il vaut mieux garder en tête lorsqu’on se lance dans cette chasse aux trésors.

Une filière écoresponsable… et chic

Le marché d’occasion s’imposerait-il comme une nouvelle norme pour consommer autrement ? Plutôt que d’acheter du neuf, certains préfèrent désormais investir dans des pièces déjà portées, au bilan environnemental bien plus léger. Ce virage est particulièrement marqué chez les jeunes générations japonaises et coréennes, qui allient goût du style et engagement éthique. Dans des sociétés où la mode reste un marqueur social, acquérir du luxe vintage permet de conjuguer prestige et responsabilité.

En revanche, acheter, oui, mais attention aux règles douanières au retour en France. Pour éviter les amendes, il est crucial de respecter les règles à la lettre. Selon les douanes françaises «vous ne devez déclarer vos marchandises que si vous dépassez une certaine valeur des produits achetés». Cette franchise est fixée à «430 euros en avion ou en bateau». Passé ce montant, TVA et droits de douane s’appliquent. Alors, conservez bien vos justificatifs car le shopping à l’autre bout du monde suit ses propres règles. À vous de jouer finement pour que le plaisir reste entier !


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