Avenue de Gaulle, place de la Francophonie : le Niger efface l'héritage colonial de ses rues
Le régime militaire au Niger a officiellement débaptisé plusieurs lieux emblématiques de Niamey, autrefois liés à la France, le mardi 15 octobre. Parmi les changements les plus symboliques, l'avenue Charles de Gaulle est devenue l'avenue Djibo Bakary, en hommage à la figure politique nigérienne qui a activement milité pour l'indépendance du pays en 1960.
C’est au son de marches militaires que les responsables de la junte ont inauguré ces nouvelles appellations. Lors de cette cérémonie, le général Assoumane Abdou Harouna a tenu des propos particulièrement critiques à l'égard de la France, accusée d'avoir détruit les valeurs ancestrales du Niger, rapporte Sahel Dimanche, le seul quotidien publié régulièrement dans le pays. "Notre civilisation reposait sur une tradition séculaire à travers nos attaches, nos racines, malgré leurs luttes héroïques, nos ancêtres n’ont pas pu empêcher que le colonisateur ne dénature nos valeurs, notre civilisation, leur finalité étant de nous plonger dans le néant sans fin", a dit le gouverneur de la région de Niamey.
Le colonel-major Abdramane Amadou, ministre de la Jeunesse et porte-parole du régime, a quant à lui déclaré : "La plupart de nos avenues, boulevards, rues (...) portent des noms qui rappellent tout simplement les souffrances et les brimades subies par notre peuple par l'épreuve de la colonisation."
Un autre lieu emblématique, le monument aux morts des deux guerres mondiales, a été rebaptisé "Bubandey Batama", ou "À nos morts" en langue djerma. Ce monument réfère non seulement aux victimes des guerres, mais aussi à toutes celles de la colonisation et des conflits qui ont suivi jusqu'à aujourd'hui.
Ces changements s'inscrivent dans un contexte de détérioration progressive des relations entre le Niger et la France depuis le coup d'État militaire du 26 juillet 2023. Les forces françaises, présentes dans le cadre de la lutte contre les groupes djihadistes, ont été sommées de quitter le pays, l’ambassadeur a été expulsé, et le centre culturel franco-nigérien a cessé de fonctionner sous sa forme binationale. Désormais rebaptisé "Moustapha Alassane", du nom du cinéaste nigérien, ce lieu symbolise la volonté de réappropriation culturelle.
À lire aussiNiger : les derniers militaires français ont quitté le pays
Un hommage à Thomas Sankara
Un autre geste hautement symbolique a été la refonte complète d’un monument qui arborait longtemps le portrait de Parfait-Louis Monteil, un commandant et explorateur français. Son image a été remplacée par une plaque à l’effigie de Thomas Sankara, l’ancien président burkinabé et fervent défenseur du panafricanisme. La date de cette inauguration n’est d’ailleurs pas anodine, puisque Sankara a été assassiné lors d’un coup d’état le 15 octobre 1987. Le colonel Amadou a souligné que la lutte de Sankara pour l’émancipation des peuples africains "continue encore d’inspirer les populations".
La place de la Francophonie, quant à elle, a été rebaptisée "place de l'Alliance des États du Sahel" (AES), une confédération créée en 2023 avec le Mali et le Burkina Faso. Ces deux voisins, également dirigés par des régimes militaires issus de coups d'État, ont également pris leurs distances avec la France.
À lire aussiAlliance des États du Sahel : un an après, l'échec sécuritaire face aux attaques jihadistes
Mais la ressemblance entre les trois pays ne s’arrête pas là. En décembre 2023, suite au coup d’État, le Niger a été suspendu des instances de la Francophonie, rejoignant ainsi ses partenaires. À l’époque, le Conseil permanent de la Francophonie (CPF) avait exigé "le rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel et de la démocratie au Niger" et appelé "les autorités de transition à établir un chronogramme de sortie de transition avec une durée limitée dans le temps". Cet appel est cependant resté lettre morte.
Réappropriation symbolique
À l'international, la démarche de réappropriation des symboles nationaux du Niger est bien perçue par les acteurs panafricanistes. Oumarou Adourahamane, président de la branche nigérienne de l'ONG Urgence Panafricaniste, a salué cette "initiative louable". "Rebaptiser les rues, avenues et boulevards dans un contexte de souveraineté et d'indépendance valorise les figures historiques nationales et africaines tout en effaçant les traces de la colonisation", a-t-il écrit dans une publication Facebook.
L'ONG est dirigée au niveau international par le militant béninois Kemi Seba, connu pour ses positions critiques à l’égard de la France. Seba, qui a récemment perdu sa nationalité française, a été arrêté à Paris le lundi 14 octobre car soupçonné "d'entretenir des intelligences avec une puissance étrangère".
En juin 2023, quelques semaines avant le coup d’État, le Niger avait déjà exprimé sa volonté de redéfinir l'identité nationale. Niamey avait pris la décision de remplacer son hymne national, "La Nigérienne", écrit en 1961 par le compositeur français Maurice Albert Thiriet. Le nouveau chant, intitulé "Pour l'honneur de la patrie", illustre bien ce nouveau chapitre dans sa séparation avec la France : "Incarnons la vaillance et la persévérance / Et toutes les vertus de nos dignes aïeux / Guerriers intrépides déterminés et fiers".
Avec AFP
