« Elles mangent moins de 1000 kcal, le métabolisme de base d’une personne dans le coma »: ces influenceuses qui prônent la maigreur

Skinny Tok, cette énième trend (tendance) lancée sur TikTok par des influenceuses essentiellement américaines, s’est rapidement imposée dans le fil d’actualité de nos adolescentes. À travers leurs vidéos, des jeunes femmes tiennent des discours violents (type «tu n’es pas moche, tu es juste grosse») afin de motiver leur communauté à perdre du poids, incitant à «manger des glaçons» au déjeuner pour pouvoir être fière de son summer body, cet été sur la plage. En France, nombre de jeunes filles prennent la parole pour dénoncer cette tendance qu’elles jugent malsaine.

« C’est quand même aberrant que ces ’vieilles’ de 25 ans qui sont manifestement malades utilisent les réseaux sociaux pour donner des complexes aux plus jeunes », s’agace Claudine, 15 ans. Toutefois, toutes n’ont pas ce même recul vis-à-vis de tels discours qui continuent de proliférer sur TikTok alors que la plateforme s’est engagée à modérer les contenus promouvant des comportements alimentaires dangereux. Quels en sont les dangers ? Quel profil est véritablement exposé ? Comment en parler avec ses enfants? Réponses avec Hugo Saoudi, psychiatre à la Fondation Santé des Étudiants de France et membre de la FFAB (Fédération Française Anorexie Boulimie).

LE FIGARO. — Quels sont les dangers de cette tendance ?

Dr. Hugo SAOUDI. Les méthodes proposées sur ce Skinny Tok sont trop drastiques. Ces influenceuses recommandent des journées à moins de 1000 kcal, ce qui ne correspond même pas au métabolisme de base d’un être humain, sauf peut-être à celui d’une personne dans le coma. Un tel déficit calorique peut entraîner des troubles du comportement alimentaire (TCA), comme la boulimie, puisque lorsqu’on se restreint trop, la faim peut conduire à une perte de contrôle sur nos prises alimentaires. Cela peut ensuite engendrer un sentiment de culpabilité et favoriser l’apparition de troubles plus graves, comme l’anorexie mentale qui demeure le trouble alimentaire le plus mortel parmi les pathologies psychiatriques.

Quelle tranche d’âge est la plus exposée à ce phénomène ?

Principalement les adolescentes. Entre 13-16 ans, on vit de profonds changements corporels et identitaires, passant du statut d’enfant à celui d’adulte. C’est à ce moment-là que l’on forge sa personnalité et où l’on devient particulièrement sensible aux influences. Le Skinny Tok transmet aux filles que pour être belle, il faut être maigre. De manière indirecte, cela influence aussi la manière dont les garçons perçoivent ces jeunes femmes.

La tendance du Skinny Tok utilise une fameuse citation de Kate Moss: «Rien n’a aussi bon goût que de se sentir maigre.» tiktok/mari_smith

Cette apologie de la maigreur survient en réaction au mouvement body positive qui, s’il a le mérite d’inciter à accepter son corps quel qu’il soit, a aussi connu ses excès, en oubliant les questions de santé liées à l’obésité notamment. Comment trouver l’équilibre entre ces deux visions extrêmes ?

En se détachant de la question corporelle. La vraie question que l’on doit se poser est : est-ce que l’on est en bonne santé quel que soit son corps ? Ce qui n’est pas le cas lorsqu’on est en surpoids voire en obésité, ni quand on est en situation d’anorexie mentale. Dans les deux cas, il est nécessaire de réajuster ses habitudes pour retrouver un rapport équilibré à son alimentation. De manière plus générale, la clé est de pouvoir s’affranchir de ces injonctions telles que : « voilà l’apparence à laquelle tu devrais te plier ». Tous les corps existent, et tous sont honorables.

Les adolescentes et jeunes adultes d’aujourd’hui souffrent-elles davantage de TCA que les générations précédentes en raison des réseaux sociaux ?

L’émergence des réseaux sociaux n’a pas entraîné une augmentation significative du nombre de personnes souffrant de TCA. En revanche, la crise du Covid, oui. On observe ces trois dernières années, un nombre croissant de demandes dans les services de soin et un taux d’occupation élevé dans ces mêmes services. Aujourd’hui, les chiffres épidémiologiques montrent qu’environ 5 % de la population souffre d’un TCA diagnostiqué (anorexie, boulimie, hyperphagie boulimique). Par ailleurs, environ 17 % de la population présente une alimentation perturbée, en partie à cause des réseaux sociaux.

Quels conseils donner aux parents dont les enfants sont exposés à ces contenus type Skinny Tok ?

Il faut toujours entretenir le dialogue avec ses enfants, sans interdire, car c’est risquer de les pousser à ne plus parler et à consulter ces vidéos en cachette. Il est important de parler de ce qu’ils voient, des contenus qui leur font du bien, comme de ceux qui peuvent leur faire du mal. Éduquez-les à critiquer les informations qu’ils reçoivent sur ces plateformes.

Si vous êtes sujet aux troubles de la conduite alimentaire, vous avez la possibilité d’avoir accès à des soins. Le numéro de téléphone de la ligne d’écoute anorexie boulimie info écoute : 09.69.325.900