Six Nations : «Il nous rend fiers», le portrait touchant de Maxime Lucu, raconté par son frère Ximun
29e minute à l’Aviva Stadium de Dublin. L’image n’est pas belle. Un cri de douleur fait taire tout une arène habituellement bruyante. Le couperet tombe. Antoine Dupont, capitaine des Bleus, joueur indéboulonnable et inclassable tellement son talent est infini, doit sortir, épaulé par deux médecins. Le stade irlandais ne s’y trompe pas et ovationne le chouchou du public français. Pour remplacer ce qui semble irremplaçable, un homme : Maxime Lucu. Souvent cantonné à un rôle de doublure et parfois plus, le demi de mêlée basque se tape une dernière fois sur les pectoraux pour s’échauffer et entre en jeu.
En 51 minutes, le «Basque bondissant» a prouvé à tout le monde sa légitimité dans le groupe France. Rassurant, calme, posé mais aussi courageux dans ses interventions défensives, Maxime Lucu (32 ans) a convaincu et séduit. À commencer par son grand frère, Ximun, ancien joueur professionnel. «Il nous a fait plaisir. Il ne pensait pas avoir tout ce temps de jeu pendant ce Tournoi. Il a saisi l’occasion même si c’est très malheureux pour Dupont, bien sûr. J’étais très content pour Max, il le mérite», abonde l’ancien arrière dont les ressemblances avec l’international, dans la voix et les expressions, sont frappantes.
Leur relation est plus que fusionnelle. Ceux qui ont partagé le même maillot – celui du Biarritz Olympique – de 2016 à 2019 ne se lâchent jamais. Et l’aîné, Ximun (35 ans), garde un œil protecteur sur son petit frère. En toutes circonstances. «Je me mets énormément de pression quand je le regarde jouer, je ne sais pas pourquoi. Je vis la chose à fond. Maxime n’est pas Antoine Dupont. Lui, il a besoin du collectif, donc je regarde tout le match et la performance de l’équipe. Quand le collectif va, Max sait se sublimer. J’ai souvent la boule au ventre quand il joue», confie l’ancien arrière professionnel au Figaro.
Touché par les critiques
Dans une relation fraternelle, encore plus quand ce sont des garçons, les confidences sont rares. Une certaine pudeur. Ximun, lui, l’affirme : « Entre nous, il n’y a jamais de non-dits. En tant que grand frère, je me dois d’être là pour lui. Quand il n’est pas bien, je ne le suis pas non plus. À travers les victoires, les défaites, je lui envoie toujours un petit message. Je ressens les mêmes choses que lui ressent. Il a un socle familial très fort, qu’il utilise souvent quand ça va et quand ça ne va pas ».
Et pour preuve. Régulièrement dans l’ombre en sélection, se contentant de miettes en fin de match quand le score est acquis ou l’enjeu moindre, Maxime Lucu a connu des moments de moins bien. Des moments où le demi de mêlée n’a cessé de se remettre en question. Et durant lesquels il a essuyé quelques critiques. « L’an dernier, il a été très déçu de lui, notamment avec la défaite dans le Tournoi. Il avait été un peu marqué par ce qui se disait sur lui mais on sait dans quel monde on vit. Quand ça t’atteint, c’est dur, mais quand ça touche à la famille, ça l’est encore plus. Il a coupé un peu avec les réseaux sociaux, à part avec Instagram. C’est plus simple et bénéfique pour lui. Il y a eu des choses un peu dures mais on n’a jamais été étonné. Ce sera peut-être comme ça dans un mois ou dans un an, c’est le jeu », regrette son frère, fraîchement retraité des pelouses (depuis cette saison).
Parfois, il se sentait inutile. Mais je lui prouvais le contraire. Il sait d’où il vient. Se retrouver dans de grands stades, c’est un rêve d’enfant. Donc il prend. Beaucoup vont rigoler du fait qu’il ne joue que cinq minutes. Pour lui, c’est précieux avec de gros sacrifices derrière.
Ximun Lucu
Pour surmonter ces moments de doute et renforcer un mental déjà fort, un seul remède : ses proches. «Maxime aime les choses simples. Il est casanier. Il a besoin de rester chez lui, de revenir voir sa famille et ses amis à Biarritz ou à Saint-Pée-sur-Nivelle (Pays basque, NDLR), chez nos parents. Il reste lui-même. C’est ce qui fait qu’il est apprécié. Nous, les potes et la famille, on l’aide quand ça ne va pas. Il nous fait passer des moments extraordinaires. Des fois, ça ne va pas, mais, des fois, il nous fait vivre des choses uniques. On est là pour l’aider même s’il a aussi un gros mental», précise Ximun.
Maxime sait aussi profiter et saisir sa chance dès qu’il le peut, comme face à l’Irlande. «Il y a plein de fois où il a joué deux minutes, cinq minutes, dix minutes mais, à chaque fois, il était heureux. Quand tu joues trois ou cinq minutes, tu te dis que tu ne changes pas grand-chose et que tu aurais pu rentrer un peu plus tôt. Trois minutes pour lui, c’est important. Parfois, il se sentait inutile. Mais je lui prouvais le contraire. Il sait d’où il vient. Se retrouver dans de grands stades, c’est un rêve d’enfant. Donc il prend. Beaucoup vont rigoler du fait qu’il ne joue que cinq minutes. Pour lui, c’est précieux avec de gros sacrifices derrière. Avant le début de la saison il disait qu’il fallait qu’il démarre fort pour pouvoir être dans le groupe France en novembre puis petit à petit pour le Tournoi. Il l’a fait !»
Ce mental, l’international français (26 sélections) se l’est forgé par la force du temps. Naturellement, d’abord. «Nos parents sont comme ça. Surtout notre père. Il ne lâche rien, il a toujours travaillé. Il a ça en lui. Le travail a toujours été important pour nous. On a été éduqué comme cela», détaille Ximun. Grâce, aussi, à une forte expérience sur le terrain. Il fut notamment capitaine du Biarritz Olympique lors de la saison 2016-2017, devenant à 23 ans l’un des plus jeunes capitaines de l’histoire d’un club historique du paysage rugbystique français. Celui qui «déteste perdre» - dixit son frère - a également dû travailler plus que d’autres. Surtout pour pouvoir s’imposer en Top 14, avec l’Union Bordeaux-Bègles, lors de son arrivée au club en 2019.
«Il a toujours eu quelque chose de particulier dans tous les sports. À la pelote, il jouait souvent des finales de championnat de France ou au Pays basque. Il était fort à la pala et au rugby également. Avec Charles Ollivon (les deux joueurs ont été formés ensemble du côté de Saint-Pée-sur-Nivelle, NDLR), ils étaient au-dessus du lot même s’ils n’évoluaient pas dans le même registre. Ensuite, il a rajouté beaucoup de travail et un sens du sacrifice hors-norme ».
«Il est heureux»
«Son mental, c’est sa qualité première. Il ne lâche jamais rien. Même lorsqu’il a été rétrogradé dans la hiérarchie, il me disait toujours qu’aller à Marcoussis le rendait extrêmement heureux. Il me disait qu’il allait tout faire pour séduire les entraîneurs et donner le meilleur de lui-même. Sur ça, il est étonnant. Il y met beaucoup de cœur, beaucoup de sacrifices», souligne son grand frère qui ne manque pas de le chambrer : « Il dort beaucoup en revanche (rires). Il a besoin de ça et c’est ce qui fait qu’il n’est quasiment jamais blessé.»
Auteur d’une saison remarquable avec son club de l’Union Bordeaux-Bègles, toujours à la hauteur en sélection, Maxime Lucu est-il dans la forme de sa vie ? « Quand tu regardes les matches depuis le début, tu te dis qu’il fait une drôle de saison. Mais il en a connu d’autres aussi ! Cette saison est particulièrement belle parce qu’il arrive à avoir de bonnes statistiques, il marque plus d’essais qu’avant et pourtant il avance en âge… Il me le dit, il est heureux, il est bien dans sa tête et son corps», répond sans hésiter l’aîné.
Ce dernier regrette d’ailleurs de ne pas passer plus de moments avec lui. La distance entre le Pays basque et la Gironde n’est pourtant pas grande. Mais les entraînements, les déplacements ou les sélections n’aident pas. Sauf que là encore, Maxime ne l’oublie pas. «Cet été, il m’a promis qu’il reviendrait en équipe de France. Ça m’a marqué. Surtout, il a toujours une pensée pour nous avant les matchs. Il nous écrit des mots sur ses straps. Il m’envoie souvent des musiques basques avant d’aller aux matchs. C’est sa façon de nous dire qu’il pense à nous, qu’il va s’envoyer pour nous faire plaisir et nous rendre fiers. Et il nous rend fiers», sourit Ximun.
Croyez-nous, on aura tout fait pour que le grand frère trouve un défaut à son petit frère. «On est tellement fusionnel que je ne suis sans doute pas objectif», rigole l’aîné. En vain, donc. Une chose est sûre, Ximun sera là pour soutenir son frère (et toute l’équipe) ce samedi face à l’Écosse. Une force supplémentaire pour un joueur à l’état d’esprit irréprochable, au talent certain et à la fidélité incontestable.