Présidentielle américaine : dans le Michigan, le vote des femmes au cœur d'un scrutin historique
Dans le calme d'un dimanche matin à Détroit, dans le Michigan, l'un des États-clés de la présidentielle, les fidèles quittent lentement l’église, encore marqués par les mots de Kamala Harris. Parmi eux, Alaqua Bobbit, au regard déterminé et plein d’espoir, porte fièrement un tee-shirt à l'effigie de la candidate démocrate. À ses côtés, sa fille de dix ans vient d’être la témoin de ce qu’elle considère comme un "moment historique".
"Je voulais qu’elle soit ici, pour qu’elle comprenne l’importance de cette élection, qui affecte son futur bien plus que le mien", confie cette représentante pharmaceutique. "Kamala milite pour que les femmes et les jeunes filles aient le droit de choisir. C’est un message essentiel que je voulais qu’elle entende."
Quelques minutes plus tôt, la vice-présidente des États-Unis n’a laissé place à aucun doute quant à l’urgence de l’instant : "Nous avons le pouvoir de décider du sort de notre nation pour les générations à venir", a-t-elle martelé en conclusion de la cérémonie tenue à la Greater Emmanuel Institutional Church of God in Christ. "Il ne suffit pas de prier, il ne suffit pas de parler. Nous devons agir."
"Le droit de choisir ce que je fais de mon corps"
Les dernières enquêtes d'opinion dévoilent une réalité saisissante : un gouffre politique s’est creusé entre hommes et femmes à l'approche du scrutin. Si la préférence féminine pour les démocrates n'est pas nouvelle, l'ampleur du phénomène atteint désormais des sommets. Kamala Harris domine chez les électrices avec une avance de 17 points sur Donald Trump (53 % contre 36 %), selon un sondage national réalisé fin octobre par USA Today-Suffolk University. De son côté, le candidat républicain règne en maître chez les hommes (53 % contre 37 % pour Harris).
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Depuis que Kamala Harris a pris les rênes de la campagne démocrate, le droit à l'avortement a dépassé l'inflation comme préoccupation majeure des électrices de moins de 30 ans, selon un sondage réalisé par KFF. La candidate démocrate continue de vouloir mobiliser les femmes en promettant de rétablir le droit fédéral à l'avortement, annulé en 2022 par la Cour suprême, face à un Donald Trump coutumier des sorties sexistes et condamné au civil en 2023 à New York à des dizaines de millions de dollars de dédommagement pour agression sexuelle. Le vote des femmes pourrait bien être la clé de cette élection historique, où chaque bulletin compte dans cette course serrée vers le Bureau ovale.
"Donald Trump ne respecte pas les femmes", s’indigne Tangela Ward, qui distribue des tracts à la sortie de l’église. Cette activiste de la petite ville d’Inkster, proche de Détroit, prépare un déplacement en car pour l’investiture du 20 janvier – qu’elle espère être celle de Kamala Harris – et ambitionne de rassembler 100 femmes pour ce voyage symbolique à Washington, la capitale. "Je ne peux pas soutenir quelqu’un qui ne défend pas le droit de choisir ce que je fais de mon corps. Pour moi, en tant que femme, cela rend ma décision très claire."
Un électorat que Trump cherche à séduire
Mais toutes les femmes ne partagent pas la même vision. À Ann Arbor, ville d’environ 120 000 habitants à l’ouest de Détroit, Sandy et Heather Woodard, mère et fille, abordent la présidentielle sous un autre angle. Pour elles, peu importe que le candidat soit une femme ou un homme. "Je ne vote plus en fonction du genre", confie Heather, qui pensait autrefois vouloir voter pour une femme à tout prix. "Ce qui m’importe, c’est ce que la personne peut vraiment accomplir pour nous." Cette professionnelle de santé pense que "l’économie se portait mieux avec Trump et, même si certains le trouvent extrême, il m’apporte un sentiment de sécurité".
Dans une stratégie audacieuse, Donald Trump tente de reconquérir l'électorat féminin en se présentant comme le "protecteur des femmes", malgré son bilan controversé sur les droits reproductifs. Le candidat républicain, artisan de l'annulation du droit fédéral à l'avortement, s’est présenté la semaine dernière en "protecteur" des femmes, assurant qu'il les protégerait, "que cela (leur) plaise ou non", lors d'un rassemblement dans le Wisconsin.
Le milliardaire adopte une double stratégie pour les séduire. Nombre de ses publicités visent à attiser la peur chez les électrices, en les avertissant qu'une présidence Harris entraînerait une vague de criminels violents à la frontière. "Je vais les protéger contre l'arrivée de migrants et des pays étrangers qui veulent nous frapper avec des missiles", a-t-il ainsi affirmé.
"Depuis l’ère coloniale, les hommes ont constamment essayé d’imposer leurs besoins, leurs désirs et leurs exigences aux femmes", peste Sandra, professeure et mère de deux enfants, devant un bureau de vote d'Ann Arbor – à la date du 4 novembre, 80,6 millions d'Américains avaient déjà voté de manière anticipée, selon les données de l’université de Floride. "Les femmes sont parfaitement capables de parler pour elles-mêmes et de déterminer ce qui est juste pour leur corps et leur vie !", s’emporte celle qui vient de glisser un bulletin pour la candidate démocrate.
"Un cadeau de Dieu"
À quelques kilomètres du bureau de vote, une autre facette du débat se révèle. Devant l’un des centres de planning familial de la ville, la rue s’anime. Près de 80 personnes – des femmes, des enfants et une majorité d'hommes – se sont rassemblées, pancartes à la main montrant des visages de bébés, pour une veillée de prière devant l’établissement, qui pratique des IVG. Parmi elles, Theresa Henderson, militante antiavortement, est venue témoigner. Au pupitre, elle raconte comment sa mère, tombée enceinte après avoir été victime d’un viol en 1943, a choisi de l’élever malgré tout. "J’étais pour elle un cadeau de Dieu, et non un fardeau", confie la retraitée devant une foule émue. "Je suis la seule enfant qu'elle ait jamais eue."
Une scène qui contraste fortement avec la réalité juridique de l'État. Le Michigan a récemment pris un virage progressiste en matière de droits reproductifs, après un référendum historique tenu en novembre 2022 lors duquel les électeurs ont choisi d'inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution de l'État. Cette décision a conduit, en avril 2023, à l'abrogation d'une loi restrictive datant de 1931.
Malgré ce changement législatif, les opposants à l'avortement restent actifs. Brigid Kowalczyk, 77 ans, en est l'exemple parfait. Cette retraitée se rend régulièrement devant le planning familial pour tenter de dissuader les patientes. Pour elle, ces échanges sont essentiels pour offrir des alternatives à l’avortement. À l'approche de l'élection, elle n'hésite pas à critiquer ouvertement la candidate démocrate : "Je pense que les femmes devraient élever des enfants et les aider à devenir de bonnes personnes qui pourront changer le monde, au lieu d'essayer de le changer elles-mêmes", affirme-t-elle, exprimant son soutien à Donald Trump, qu'elle juge plus aligné avec ses valeurs traditionnelles. "Il s’intéresse aux êtres humains dans leur ensemble, sans privilégier un groupe, une race ou un genre au détriment des autres."
Suzanna Duba partage ce soutien à Donald Trump, malgré des réserves. "Ce n'est pas le candidat le plus distingué, mais le Parti républicain est plus pro-famille", explique cette consultante de 28 ans. Tout en aspirant à voir une femme élue à la présidence, elle estime que "Kamala Harris a été choisie pour son genre, pas pour ses qualifications".
Alors que l'heure du choix approche, le Michigan et ses quinze grands électeurs, que Donald Trump a remportés en 2016 avant de les perdre au profit des démocrates en 2020, se révèle être le champ de bataille d'une Amérique divisée. "Dans un système à deux partis aux États-Unis, chaque vote est un choix stratégique", conclut Suzanna, résumant le dilemme cornélien auquel font face des millions d'Américaines.
