La BNF lance un appel aux dons pour acquérir les planches originales de La bête est morte !
Surnommé le «Disney français», Edmond-François Calvo (1892-1957) était un autodidacte. On ne sait comment, à 52 ans, il trouva le courage et le matériel, pour dessiner La Bête est morte !. Rédigée sous l'Occupation et dans la clandestinité, cette bande dessinée raconte la Seconde Guerre mondiale sous la forme d'une fable animalière. Les Français sont incarnés par des lapins et des écureuils – à l'exception du général de Gaulle, imaginé en cigogne -, Hitler et l'armée allemande sont des loups, Goering, un cochon et Mussolini, une hyène ; les Américains, eux, ont les traits de bisons.
Couleurs éclatantes, mises en images presque drôles, l'anthropomorphisme adoucirait presque la violence du récit. Mais Calvo chronique les opérations militaires, la résistance intérieure et extérieure, le rationnement, l'exode, mais aussi les massacres de Tulle et d'Oradour-sur-Glane. « Il cherche visiblement à témoigner et à prendre date d'une époque », explique Carine Picaud, conservatrice en charge de la BD et des livres pour enfants, à la réserve des livres rares. «C'est d'ailleurs la première bande dessinée à évoquer, à travers les camps de concentration et d'extermination, le sort des Juifs », précise-t-elle.
Une «pièce exceptionnelle»
Les 77 planches ont été exécutées à la plume et au pinceau à l'aide d'encre de Chine et de gouache. L'œuvre est constituée de deux albums publiés en août 1944 et en juin 1945: le premier, de 32 pages, est intitulé Quand la Bête est déchaînée et a été conçu, selon les mots de l'achevé d'imprimer, « entre Le Vésinet et Ménilmontant, dans la gueule du Grand Loup, au groin du Cochon décoré, et sans l'autorisation du Putois bavard »; le second, Quand la Bête est terrassée, compte 48 pages.
L'ensemble, original, est perçu comme une pièce « exceptionnelle » par la BNF, qui souhaiterait l'acquérir. Conservée dans la famille jusque-là, elle est proposée à 875 000 euros. « Son petit-fils, avec qui nous sommes en contact, ne connaît pas la genèse de l'ouvrage. Il sait simplement que sa mère emportait les planches à l'imprimerie sur son vélo, pour plus de discrétion », poursuit la conservatrice. La famille préférerait que La bête est morte ! soit acquise par une grande institution, si possible française.
Le 30 septembre, le grand dîner annuel des mécènes, organisé par l'institution et le cercle de la BnF dans la salle ovale du site Richelieu,– où se trouvent justement 10 000 bandes dessinées en accès libre-, a déjà permis de lever 200 000 euros. Il reste donc 675 000 euros à trouver.
Si la BNF parvient à ses fins, elle conservera l'œuvre de Calvo dans la réserve des livres rares, à côté de 120 planches originales d'Astérix ou 400 autres de l'album de François Schuiten et Benoît Peeters Les Cités obscures. «Le genre de la bande dessinée démarre au début du XIXe siècle, mais va demeurer un parent pauvre des collections publiques jusque dans les années 1980 « poursuit Carine Picaud. Grâce au dépôt légal, la BNF se trouve à la tête du plus grand fonds européen de BD et s'est déjà risquée à quelques expositions autour du 9e art, dont une sur Astérix en 2013.
C'est la première fois qu'elle propose au public et aux mécènes de se mobiliser pour une acquisition de BD. Cette première se centre tout de même sur un ouvrage culte, dont l’acteur réalisateur Matthieu Kassovitz vient de s'emparer pour un projet entre action et animation, baptisé The Big War.
Les dons peuvent être adressés à la BNF via un formulaire en ligne. Ils ouvrent droit à une réduction fiscale de 66 % du montant, dans la limite de 20 % du revenu imposable, à laquelle s’ajoutent des avantages proposés par la BNF (visites privées, expositions, concerts, etc.).
Seize planches originales de la Bête est morte ! sont présentées dans l'exposition « La BD à tous les étages », au Centre Pompidou à Paris jusqu'au 9 novembre 2024.