"Camp de la mort" : la prison de Saydnaya, symbole des atrocités du régime de Bachar al-Assad

C’est un lieu tristement célèbre pour avoir été le lieu de détention d’opposants politiques au régime de Bachar al-Assad. Les rebelles de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) ont pris le contrôle de la prison syrienne de Saydnaya, près de Damas, dimanche après être entrés dans la capitale et avoir forcé le dirigeant syrien à fuir en Russie. 

Sous la direction d'Abou Mohammed al-Joulani, les rebelles ont pris d'assaut la prison, libérant des milliers de prisonniers. Symbole des pires exactions du régime, cet établissement a été qualifié d'"abattoir humain" par Amnesty International. 

Parmi les détenus libérés, de nombreuses femmes et parfois des enfants en bas âge. "Dans les cellules, il y avait des enfants nés de viols", déclare notre journaliste Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes. Des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent des dizaines d’hommes, visages émaciés, certains portés par leurs camarades car trop faibles pour marcher.  

Ces ex-prisonniers ont déferlé par vagues dans les rues de Damas, certains totalement désorientés, avant de retrouver leurs familles qui les croyaient morts. Une mosquée, située à une vingtaine de kilomètres, s'est transformée en point de rassemblement pour ces retrouvailles, a rapporté la BBC.  

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Présent sur place lundi, le Dr Mahmoud Mustafa, fondateur de l’Organisation des médecins indépendants, a décrit à France 24 les conditions effroyables dans lesquelles vivaient les détenus. "Les cellules étaient inhumaines, insalubres et effrayantes. Les prisonniers souffraient de malnutrition, de maladies chroniques et de fractures, non traitées, dues à la torture", témoigne-t-il auprès de France 24.  

Ce qui l’a le plus touché, c’est la "souffrance" des familles : "Des milliers de personnes venues de toute la Syrie étaient à la recherche de la moindre trace pouvant mener à un fils, un frère ou un proche, disparu depuis des années." 

Mais les espoirs de retrouver tous les disparus s'amenuisent. Les Casques blancs, organisation de secouristes syriens, ont annoncé mardi 10 décembre la fin des opérations de recherche dans la prison "sans avoir trouvé de lieux secrets ou cachés" ni d’autre détenu. De nombreuses familles restent pourtant convaincues que des prisonniers pourraient encore se trouver dans des sections cachées de cet établissement. 

Un héritage obscur 

Située à 30 km au nord de Damas, la prison de Saydnaya s’étend sur une superficie d’environ 1,4 km². Sa construction a été initiée en 1978, selon un rapport publié par l'Association des détenus et des disparus de la prison de Saydnaya (ADMSP) en 2022. Le gouvernement syrien a confisqué des terres appartenant à des propriétaires locaux pour les attribuer au ministère de la Défense. Les travaux ont débuté en 1981 et se sont achevés en 1986, le premier détenu ayant été accueilli en 1987. 

Jusqu'à présent, Saydnaya était une énigme, inaccessible aux organisations internationales et aux médias malgré sa notoriété. Les ONG n'ont jamais été autorisées à accéder à la prison, les visites nécessitant l'autorisation de la police militaire et des services de renseignements militaires. 

En 2017, Amnesty International a utilisé la modélisation 3D pour reconstituer le plan de la prison à partir des récits de 84 survivants. "Nous nous sommes appuyés sur les souvenirs acoustiques d'anciens détenus pour dresser un tableau détaillé du fonctionnement de la prison", explique Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et conflits à Amnesty International France. 

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Les modèles obtenus brossent le portrait d'une usine de la terreur, où la torture systématique et les disparitions forcées étaient monnaie courante. Selon Amnesty International, la torture n'était pas utilisée pour obtenir des informations. Elle servait plutôt "comme un moyen de dégrader, de punir et d'humilier" les détenus. 

La prison de Saydnaya se compose de deux bâtiments principaux, pouvant accueillir entre 10 000 et 20 000 prisonniers, a constaté Amnesty International. Les détenus étaient séparés en fonction de leur statut. Le bâtiment "blanc" abritait le personnel militaire détenu pour des crimes ou des délits tels que le meurtre, le vol, la corruption ou l'évasion. Le bâtiment "rouge" était destiné aux détenus pour raisons de sécurité - civils et militaires emprisonnés "sous prétexte des opinions qu'ils ont exprimées, de leurs activités politiques ou d'allégations de terrorisme fabriquées de toutes pièces", selon l'ADMSP. 

Des abus systématiques  

Qualifiée de "camp de la mort" par les survivants et les défenseurs des droits humains, la prison de Saydnaya a cristallisé toute la brutalité du régime al-Assad, particulièrement à partir de 2011, lors des manifestations du Printemps arabe dans le pays. Face aux revendications de la population pour des réformes politiques et la fin de l'autocratie de la famille al-Assad, le régime a répondu par une violente répression. Saydnaya est alors devenue le principal lieu de détention, de torture et d'exécution  

Selon Amnesty International, entre 5 000 et 13 000 personnes ont été exécutées, principalement par pendaison, entre 2011 et 2015. "Les exécutions avaient lieu régulièrement, généralement le lundi et le mercredi", déclare Aymeric Elluin. "Les autorités procédaient à des pendaisons de masse dans le sous-sol du bâtiment rouge, après des simulacres de procès qui ne duraient pas plus de trois minutes. Les victimes étaient battues, pendues et éliminées en secret."  

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Au-delà des exécutions et de la torture, les disparitions forcées ont également marqué l'histoire sombre de la prison. Depuis 2011, l'ONU estime que plus de 100 000 Syriens se sont volatilisés à travers le pays, laissant les familles dans l'angoisse. Beaucoup auraient transité par les geôles de Saydnaya. 

Alors que les secouristes ont annoncé la fin des recherches, l'ampleur réelle des atrocités commises à Saydnaya pourrait ne jamais être pleinement révélée. Mais pour les survivants et les familles des disparus, la quête de vérité et de justice ne fait que commencer. 

"Nous devons veiller à ce que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice", a déclaré Aymeric Elluin. "La communauté internationale doit agir avec détermination pour enquêter sur ces atrocités et en poursuivre les auteurs."

Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. Retrouvez ici l’article original.