"J'ai modifié mon CV, cinq, six, sept, huit fois" : la galère des étudiants pour trouver une entreprise en alternance
Sur le réseau social LinkedIn, les posts d'appels à l'aide se multiplient tandis que les offres de postes se font de plus en plus rares. Des étudiants cherchent encore, avec la boule au ventre en attendant la rentrée. Certains observateurs pourraient mettre en cause la baisse des aides aux entreprises pour prendre des apprentis : depuis janvier, les montants sont passés de 6 000 euros à 2 000 euros, pour les grandes entreprises, et de 6 000 euros à 5 000 euros pour les PME. Il ne s'agit que d'une hypothèse, mais les difficultés pour certains étudiants sont bien réelles.
Lamine, un étudiant en master de finance, cherche une alternance depuis presque un an, mais il ne reçoit que des refus. Sur sa boîte mail, on trouve 53 pages de refus avec un message type. "Ça se résume par 'malgré la qualité de votre candidature, nous avons décidé de choisir un autre candidat', montre-t-il. Pour plusieurs entreprises, c'est mot pour mot la même réponse".
Près de 800 CV envoyés
Pourtant, ce n'est pas la volonté qui manque au jeune homme. "Ma première étape a été d'envoyer des CV, raconte Lamine. J'ai vu que ça ne marchait pas, du coup, j'ai modifié mon CV, cinq, six, sept, huit fois. Et maintenant, mon quotidien se résume à envoyer des messages sur LinkedIn. Si ça ne marche pas, je vais finir par aller à la Défense et donner mes CV en main propre".
Après avoir envoyé autour de 800 CV, Lamine a du mal à comprendre pourquoi ça ne marche pas. Il n'est pas le seul dans cette situation. Ambre est étudiante en master de traduction en anglais. "Au début, je cherchais proche de Paris, explique-t-elle, mais maintenant, si c'est à l'autre bout de la France, je me débrouillerai. Je suis désespérée à ce point-là !" L'étudiante postule depuis mai : "Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi compliqué et aussi anxiogène." Sans alternance, elle ne sait pas si elle pourra finir son master ou si elle devra se réorienter, trouver un autre master et faire une croix sur son "domaine de cœur".
"Ça me stresse, j'y pense, je me dis que je vais devoir arrêter les études, qu'est-ce que je fais après ça ?"
Ambre, étudiante en master de traduction en anglaisà franceinfo
Sa situation impacte toute sa famille. Sa mère Kate montre ses conversations avec sa fille : "Vous voyez tout ça, toutes nos communications, ce ne sont que des liens vers des annonces, des sociétés qui cherchent, tout ça depuis le mois de mai." Elle est très inquiète et frustrée de ne pas pouvoir aider plus, avec un grand sentiment d'impuissance.
Un speed dating annulé faute d'entreprises participantes
Kate aimerait que sa fille soit plus accompagnée par l'école. À l'origine, un speed dating aurait dû avoir lieu pour aider les étudiants à trouver une alternance. Mais il a été annulé : trop peu d'entreprises souhaitent y participer.
Il est difficile d'affirmer que les entreprises embauchent moins en alternance en 2025, car il n'y a pas encore de chiffres. Ce qui est certain, c'est que l'alternance a explosé, ces dernières années. Entre 2017 et 2024, le nombre de contrats d'alternances signées a triplé, passant de 295 000 à 880 000. Selon Laurent Munerot, vice-président de l'Union des entreprises de proximité (U2P),la situation est très différente d'un milieu professionnel à un autre. "Il y a des secteurs où il y a trop de demandes, et les entreprises ne peuvent pas prendre plusieurs apprentis, ce n'est pas possible", indique-t-il.
"Je pense qu'il y a des secteurs dans l'artisanat qui sont encore en recherche d'apprentis, c'est le cas aussi certainement dans l'industrie."
Laurent Munerot, vice-président de l’U2Pà franceinfo
Selon lui, si les entreprises offrent moins de postes d'alternants, ce n'est pas lié à la baisse des subventions. "Je veux bien qu'on dise que les entreprises ne profitent que d'aides et de primes, mais ce n'est pas le sujet sur l'apprentissage", dit-il. Il y a des professions qui sont habituées à prendre des apprentis, et qui en ont toujours pris, quelles que soient les aides qui ont été attribuées à une époque ou à une autre".
Le problème, selon lui, ce sont plutôt les changements de règles très fréquents qui déstabilisent les entreprises. "Les incertitudes sont flagrantes, regrette-t-il, et ça peut générer des freins pour les entreprises à prendre des apprentis, ne sachant pas exactement à quelle sauce elles vont être mangées".
Un travail nécessaire d'accompagnement de la part des écoles
Samuel Perrichon est directeur de l'ISME Poitiers, Institut supérieur de management des entreprises, qui met l'apprentissage au cœur de ses études. Selon lui, trouver une alternance reste quelque chose d'accessible. "En continuant de se battre, en se débrouillant et en s'assurant d'être bien accompagné, il n'y a pas de raisons que ça n'aboutisse pas", assure-t-il. Mais pour cela, il faut que l'école fasse son travail d'accompagnement.
"Dans 99% des cas, on fait faire complètement les CV de nos étudiants - qu'ils soient en BTS ou en master - parce qu'ils ne savent pas se mettre en avant."
Samuel Perrichon, directeur de l’ISME Poitiersà franceinfo
"Ils ne savent surtout pas mettre les bonnes compétences en avant, indique le directeur. Il faut avoir une stratégie déterminée et comprendre la logique sur laquelle on va".
Samuel Perrichon invite les étudiants à ne pas perdre espoir. En 15 ans d'expérience, il a vu beaucoup d'élèves finir par trouver, parfois seulement quelques jours avant la rentrée.