INTERVIEW. Projet Neom en Arabie saoudite : "Mohammed ben Salmane est en train d'échouer, malgré les milliards", assure l'auteur d'un documentaire sur le prince

"Vision 2030". Voilà le nom du plan stratégique lancé en 2016 par le prince Mohammed ben Salmane (surnommé "MBS") pour l'Arabie saoudite. L'homme qui dirige de facto la monarchie entend investir dans le tourisme et dans le développement des énergies renouvelables afin de diversifier ses ressources et améliorer l'image de son pays... et la sienne. Diffusé dimanche 19 janvier sur France 5 (à 21h05), le documentaire MBS, l'Arabie du futur Walid Berrissoul revient sur l'ascension de l'ambitieux prince de 39 ans, qui rêve de faire du royaume le leader du monde arabe et un partenaire privilégié pour l'Occident.

Le film se glisse dans les coulisses du projet Neom, projet d'urbanisme futuriste porté par "MBS" et socle de "Vision 2030". Walid Berrissoul montre également comment, derrière des déclarations prônant l'ouverture du pays, le régime saoudien continue d'oppresser ses opposants politiques et la population.

Franceinfo.fr : Vous avez exposé vos intentions aux autorités saoudiennes avant de réaliser ce film ?

Walid Berrissoul : Oui, nous avons été très transparents sans évidemment leur donner la liste des opposants politiques que nous allions interviewer. Nous avons expliqué que nous voulions faire un film très équilibré, qui ne serait ni à charge, ni hagiographique. Habituellement, les Saoudiens refusent, mais à force d'insister, ils ont finalement accepté. Ils ont compris que nous voulions réaliser un documentaire pour comprendre le pays, même si on évoque le problème des droits de l'homme, la manière dont les opposants sont traités et la situation des femmes.

Cela fait près d'une décennie que Mohammed ben Salmane est aux commandes du royaume, et je souhaitais comprendre l'évolution de ce pays avec ce colossal projet de ville futuriste, cette folie des grandeurs et cette absence de limites. J'ai pensé ce film comme une forme de projection dans l'avenir. 

Les opposants politiques saoudiens, réfugiés à l'étranger, n'ont-ils pas redouté de témoigner ?  

Cela a été assez facile, car ils essayent de faire entendre une autre voix. Ils luttent afin que l'on n'oublie pas que, derrière ce que le régime saoudien montre d'engagement vers le monde, des opposants sont toujours muselés ou jetés en prison. Cette diaspora n'est pas énorme, mais ce qui interroge, c'est qu'elle a grandi à partir de 2017, alors que MBS arrive au pouvoir et qu'il installe des réformes d'ouverture, comme l'autorisation de divertissements au cinéma, et une plus grande liberté supposée pour les femmes.

Le pouvoir de "MBS" demeure très vertical...

Oui, Mohammed ben Salmane concentre tous les pouvoirs, tant sur le plan politique qu'économique, ce qui est assez inédit même pour une monarchie absolue comme l'Arabie saoudite. Personne n'avait imaginé qu'il accéderait à la tête du pays, car il était considéré comme un prince de seconde zone, ce qui a développé d'ailleurs chez lui une forme d'esprit de revanche.

Le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, le 3 décembre 2024 à Riyad, capitale du royaume. (LUDOVIC MARIN / AFP)

En 2015, à 30 ans, il a été nommé ministre de la Défense. Il a alors engagé une guerre contre les houthis au Yémen. Puis il a accédé au pouvoir grâce à son père en écartant son cousin Mohammed ben Nayef, promis à la fonction suprême. La purge retentissante qu'il a opérée en 2017 a assis son pouvoir, tandis que l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018 a montré sa brutalité. Aujourd'hui, "MBS" semble être plus enclin à pacifier ses relations avec les pays voisins. 

Sa façon de gouverner est-elle liée au fait qu'il n'a pas étudié à l'étranger ?

Au début des années 2000, de nombreux Saoudiens, issus de la famille royale, étudiaient à l'étranger et, 20 ans plus tard, devenaient cadres dans les administrations et les entreprises du pays. Mohammed ben Salmane n'était pas de ce cénacle-là, car il a fait toutes ses études à Ryad [la capitale saoudienne], ce qui lui donne un avantage aujourd'hui. Car pendant des années, il a ainsi pu comprendre comment fonctionnaient les arcanes du pouvoir.

"Mohammed ben Salmane ne dirige pas son royaume comme le faisaient ses aïeux avec un certain équilibre de pouvoirs entre les grandes familles, mais plutôt comme un chef d'entreprise."

Walid Berrissoul, réalisateur du documentaire "MBS, l'Arabie du futur"

à franceinfo

Le projet Neom participe-t-il à son désir de voir son pays comme un modèle écologique ?

Oui, mais malgré les centaines de milliards de dollars investis dans ce projet, il est en train d'échouer parce qu'il y a justement trop d'argent. La ville futuriste écologique [star du projet Neom], appelée "The Line", devait faire 170 km de long et est finalement réduite à 2,5 km. Les Saoudiens ont fait venir des gens du monde entier, qu'ils ont très bien payé, et pourtant les gens partent au bout de quelques mois, car de nombreuses difficultés se sont greffées sur ce projet : une organisation défaillante, un management trop vertical associé à des objectifs totalement irréalistes. C'est un vrai problème pour le plan Vision 2030 de MBS, présenté comme la pierre angulaire de son projet. 

La mise en œuvre de Neom n'est-elle pas trop éloignée des considérations écologiques ?

Effectivement, c'est paradoxal, car l'écologie est le cœur de ce projet. Or des constructions partent de nulle part et occasionnent la destruction de la nature et une utilisation colossale de ressources. Sans parler du coût économique et humain. "MBS" a pourtant conscience que le réchauffement climatique est bien réel, et que c'est une question quasi existentielle pour lui et son peuple.

C'est pour cela qu'il mise essentiellement sur la technologie pour régler ce problème. Il pense pouvoir maîtriser la nature et continuer à sortir neuf millions de barils de pétrole par jour en captant le CO2, alors que le Giec prévoit que, dans les années 2050/2060, les pays du Golfe seront inhabitables pour l'homme. Ce pays vit dans un très grand contraste avec un futur en point d'interrogation. 

Le documentaire MBS, l'Arabie du futur, réalisé Walid Berrissoul, est diffusé dimanche 19 janvier à 21h05 sur France 5 et sur la plateforme france.tv.