Football : "On veut que la Guadeloupe soit tout en haut"... Les Gwada Boys à la conquête de l'Amérique, à la Gold Cup 2025
La Coupe du monde des clubs n'est pas la seule compétition internationale de football à prendre ses quartiers aux Etats-Unis. Du 14 juin au 6 juillet prochains, l'Oncle Sam déroule le tapis rouge à la Gold Cup, équivalent de l'Euro pour les pays Caraïbéens, d'Amérique Centrale et du Nord. Un tournoi dont les cadors sont le Mexique, les Etats-Unis, le Costa Rica ou encore le Canada. Mais un petit bout de France s'est invité à la fête : la Guadeloupe.
Avec son statut de département français, l'île papillon est en effet membre associé de la Concacaf (équivalent nord-américain de l'UEFA), au même titre que la Martinique. Dans ce cadre, les Gwada Boys [gwada est le diminutif de Guadeloupe en créole] peuvent depuis 1983 participer aux compétitions continentales, mais pas internationales (ce qui est uniquement le cas de Tahiti et de la Nouvelle-Calédonie, territoires plus autonomes que les départements d'outre-mer). Ce qui sera le cas lors de la Gold Cup 2025, pour sa sixième participation après celles de 2007, 2009, 2011, 2021 et 2023.
Une épopée jusqu'aux demi-finales en 2007
Vivier inépuisable de champions français (Marie-José Pérec, Teddy Riner, Lilian Thuram, Marius Tresor, Thomas Lemar…), la Guadeloupe peut ainsi briller sous ses propres couleurs, grâce au football. "C'est l'un des deux sports roi chez nous, avec le cyclisme, donc ce n'est pas neutre de pouvoir porter le maillot de la Guadeloupe", témoigne Vikash Tillé, attaquant des Gwada Boys. "On veut que la Guadeloupe soit tout en haut, qu'elle ait une bonne place dans le football d'Amérique du Nord", ajoute Anthony Baron, défenseur du Servette Genève et capitaine des Gwada Boys.
"Quand j’étais petit, j’avais envoyé un message sur Facebook pour rejoindre la sélection de Guadeloupe ! Je la connaissais depuis tout petit, c’était un rêve pour moi de jouer pour mon île."
Anthony Baron, capitaineà franceinfo: sport
Demi-finaliste en 2007, quart de finaliste en 2009, la Guadeloupe n'a depuis jamais passé la phase de poules de la Gold Cup. "C'est l'objectif : atteindre les quarts", prévient Jocelyn Angloma, sélectionneur des Gwada Boys. "Mais on a un groupe très costaud. À nous d'être à la hauteur dès le premier match contre le Panama, ensuite on verra face à la Jamaïque et au Guatemala", tempère toutefois le champion d'Europe 1993 avec l'OM, et aussi international français (37 sélections entre 1990 et 1996).
Car Jocelyn Angloma sait que la Guadeloupe peut surprendre. En 2007, au crépuscule de sa carrière, l'ancien latéral marseillais a été l'un des premiers joueurs professionnels à enfiler la tunique de son île pour devenir le héros de l'épopée de 2007, jusqu'en demi-finale. Dix ans plus tard, alors que le football guadeloupéen était à l'arrêt, c'est en tant que sélectionneur qu'il est revenu aux affaires. "L'objectif était de revenir régulièrement en Gold Cup. Après dix ans sans la jouer, on a disputé celles de 2021, 2023 et maintenant 2025. C'est très important pour la Guadeloupe et pour nos joueurs d'être réguliers."
"Les Guadeloupéens qui jouent dans le monde entier ont envie de venir nous aider, de faire briller la Guadeloupe."
Jocelyn Angloma, sélectionneurà franceinfo: sport
Pour atteindre cet objectif, Jocelyn Angloma a toutefois dû batailler, entre un budget réduit et des clubs souvent peu enclins à libérer leurs joueurs. "C'est difficile de réunir tout le monde, même si la Ligue guadeloupéenne met des moyens pour faire venir les joueurs d'Europe. On est soumis au bon vouloir des clubs professionnels, qui sont les employeurs des joueurs, et qui ne sont pas obligés de les libérer pour nos matchs, puisqu'on n'est pas affilié à la FIFA", explique le sélectionneur. Pour prétendre à la sélection, le joueur doit être fils ou petit-fils d'un natif de l'île.
"En métropole, les clubs nous prennent parfois de haut, ne voient pas la Guadeloupe comme une sélection. Ça notamment été le cas pour Jordan Tell à Grenoble. Les clubs étrangers nous respectent plus que les clubs français."
Jocelyn Angloma, sélectionneur de la Guadeloupeà franceinfo: sport
Au printemps 2022, la Guadeloupe a même organisé deux matchs amicaux en métropole, pour convaincre les clubs de libérer leurs joueurs. "On n'a pas pu le refaire, pour des raisons financières. Même là, on n'a pas pu faire de matchs amicaux avant de commencer la Gold Cup", regrette Jocelyn Angloma. Dans ces conditions, le sélectionneur s'appuie donc principalement sur des joueurs du championnat R1 de Guadeloupe, équivalent de la sixième division nationale.
Un mélange entre locaux et expatriés
"On suit les matchs sur le terrain en Guadeloupe, on a créé une base de données d'une cinquantaine de joueurs avec qui on reste en contact en Europe. On a su monter un bon staff pour travailler dans de bonnes conditions malgré les difficultés", détaille celui qui convoque les professionnels évoluant en Europe, principalement pour les grandes compétitions. Ce qui est le cas de 19 des 26 joueurs retenus pour la Gold Cup, dont Christopher Jullien (Montpellier HSC), Yvann Maçon (AS Saint-Etienne), Jérôme Roussillon (Union Berlin) ou encore Anthony Baron (Servette Genève).
"Je n’ai aucun problème avec mon club, ils me laissent partir. De toute façon, je ne leur laisse pas le choix : la Guadeloupe est une sélection comme une autre. Je suis un international comme un autre."
Anthony Baron, capitaineà franceinfo: sport
"En France, on respecte moins la Guadeloupe, alors qu'on a un beau onze de départ, avec beaucoup de joueurs professionnels. C'est dommage, c'est pénalisant pour nous, il nous manque toujours quelques joueurs, on est jamais sûr de se revoir. Mais c'est aussi une force, parce qu'en sélection on est une famille très soudée", relativise le capitaine guadeloupéen. Attaquant du CS Moulien, champion de Guadeloupe en titre, Vikash Tillé fait lui partie des amateurs qui jouent dans le championnat local, tout en portant le maillot des Gwada Boys.
"Le championnat guadeloupéen a un beau niveau, comme on le prouve parfois en Coupe de France. On n'a pas les mêmes infrastructures, mais on a de beaux stades et on sort quelques pépites qui percent en Europe. Et même des champions du monde comme Thierry Henry ou Thomas Lemar", détaille Vikash Tillé. "Quand la sélection joue en Guadeloupe, les tribunes sont pleines. Ça attise la passion. Les gens nous suivent de très près, d'autant que là on va affronter des grandes nations du foot. Ça nous permet de rendre la Guadeloupe visible."
En appelant en renfort des joueurs professionnels pour les grandes compétitions, Jocelyn Angloma se place dans une position délicate, en devant écarter des joueurs amateurs qui ont contribué à qualifier la Guadeloupe. Mais le sélectionneur a appris à soigner les égo : "Il y aura toujours des jalousies, des incompréhensions, ce que je comprends. Ce n'est pas facile, j'essaye d'équilibrer. C'est parfois frustrant pour les locaux de voir des professionnels débarquer pour les grandes compétitions, comme la Gold Cup. Mais tous ont la même ambition : représenter fièrement notre île."
"On a besoin de joueurs professionnels. Pour affronter le Panama, si on avait que les joueurs de R1, ça serait très, très compliqué."
Jocelyn Angloma, sélectionneurà franceinfo: sport
Un discours accepté par le vestiaire, assure Vikash Tillé : "C'est toujours un plaisir de se retrouver. Quand des locaux ne sont pas retenus, ils nous suivent de très près, nous écrivent. Ils nous soutiennent et l'ambiance reste toujours saine". D'autant que cette professionnalisation rejaillit sur l'ensemble du groupe, et explique en partie les progrès réalisés depuis la prise de fonction de Jocelyn Angloma. "Le cadre a évolué, rien qu'en termes d'équipements et d'entraînements", apprécie Vikash Tillé, "Les trois participations de rang à la Gold Cup nous permettent de nous faire un nom, d'attirer plus de joueurs, de convaincre les clubs de les laisser venir. On a plus de reconnaissance". Et d'ambitions.