JO 2026 : "Ce n’est pas notre sport"... Pourquoi l’intégration olympique du ski-alpinisme divise les professionnels de la discipline

A moins d’un an de son intégration au programme des Jeux olympiques d’hiver, le ski-alpinisme a les spatules entre deux pentes. D’un côté : celles et ceux qui se réjouissent de participer au plus grand évènement sportif planétaire. De l’autre : celles et ceux qui regrettent que cela se fasse au détriment des valeurs même de leur discipline. Deux camps irréconciliables… au moins jusqu'en 2030.

Sur le papier, participer aux Jeux olympiques, c’est forcément un bond en avant. "Allez aux Jeux, c’est un rêve, se réjouit ainsi Emily Harrop, star française de cette discipline en plein essor. Ça va nous faire passer des caps dans le professionnalisme de la discipline. Ça va permettre à des athlètes d’en vivre, d’avoir plus de moyens." Ce que confirme Thibault Anselmet, son partenaire en relais : "On le sent déjà. Les athlètes deviennent professionnels et sont de mieux en mieux préparés, avec beaucoup plus de densité et de staff. Le niveau a vraiment beaucoup augmenté."

L'essentiel, c'est d'y participer

A un an des Jeux, le duo français vient d’ailleurs de terminer deuxième du relais organisé lors du test event à Bormio, qui accueillera le ski-alpinisme aux JO de Milan Cortina. "Le site était très bien, très carré. Ça évoluera sans doute d’ici là. On a pu faire des retours, notamment sur le relais. On aurait pu avoir une montée plus sympa, plus technique, parce que là, on montait tout droit sur la piste… Mais j’aime bien l’ambiance autour du ski en Italie", débriefe Thibault Anselmet, double vainqueur sortant de la Coupe du monde.

Piliers de la jeune génération, Emily Harrop et Thibault Anselmet (27 ans tous les deux) se réjouissent de cette intégration olympique, et se préparent à jouer l’or dans un an, sur les deux épreuves retenues par le CIO : le relais mixte, et le sprint.  "Le sprint, c’est une épreuve individuelle, où on fait un parcours d’environ trois minutes. Ça envoie. On part à six en confrontation directe, comme en ski cross. Les deux meilleurs passent. Le parcours mélange les différentes techniques du ski-alpinisme", explique Emily Harrop, avant d’ajouter : "Sur le relais mixte, le parcours est deux fois plus long, et on le fait chacun deux fois."

Sauf que ces deux disciplines ne sont pas les plus représentatives du ski-alpinisme, qui a d’abord existé par des courses longues par équipes, comme la Pierra Menta, et dont l’essence même est la nature, les grands espaces, et la liberté. Ce que beaucoup ne retrouvent pas sur le sprint et le relais mixte. "Il y a plusieurs épreuves dans le ski-alpinisme, et pour chacune des spécialistes. Aux JO, on n'en aura que deux, c’est comme ça, il faut composer avec. Toutes les disciplines représentent le ski-alpinisme", tempère Thierry Galindo, directeur des équipes de France.

"Certains préfèrent les épreuves longues, qui font l’ADN de notre discipline, et préfèrent ne pas participer aux épreuves sur stade comme le sprint et le relais. Mais ce sont ces deux épreuves qui ont été choisies par le CIO pour les Jeux. Il y a des contraintes de TV, de temps de course… On rentre par cette porte-là, on espère en 2030 avoir plus d’épreuves."

Thierry Galindo, directeur des équipes de France

à franceinfo: sport

Là où le bât blesse, c’est que le CIO a retourné sa veste en 2022. A l’origine, la course individuelle, considérée comme l’épreuve reine du ski-alpinisme, devait figurer au programme, comme lors des Jeux olympiques de la Jeunesse de Lausanne en 2020. "Mais en 2022, on a appris que l’individuelle ne serait pas aux Jeux", raconte Thierry Galindo, qui apaise le débat. "Dire que le sprint ne représente pas le ski-alpinisme, je comprends, mais c’est un peu extrême. Et c’est peut-être la discipline qui va nous faire connaître."

L'Italie Matteo Eydallin lors de la 4e étape de la Pierra Menta, le 12 mars 2022. (JEFF PACHOUD / AFP)
L'Italie Matteo Eydallin lors de la 4e étape de la Pierra Menta, le 12 mars 2022. (JEFF PACHOUD / AFP)

S'il aime chacun des six formats du ski-alpinisme, Thibaut Anselmet préfère lui aussi positiver : "C’est sûr qu’on aurait tous aimé avoir la course individuelle aux Jeux, mais on se retrouve avec le sprint et le relais, il faut l’accepter, arrêter de pleurnicher. On a ces deux épreuves aux JO, on va essayer de présenter au mieux notre sport, ça apportera forcément de la visibilité. Ensuite à nous de bien faire pour intégrer l’individuelle aux Jeux de 2030. Ce sont des choix complexes, politiques, économiques, médiatiques au-dessus de nous. On n’a pas la main dessus."

Les JO, oui, mais à quel prix ?

De l’autre côté, une frange de skieurs alpinistes plus expérimentée se positionne contre cette intégration, en tout cas sous cette forme. "Comme ça a été le cas pour d’autres sports comme le surf, le skateboard ou le ski de bosses, une partie des pratiquants du ski-alpinisme ne se retrouvent pas dans les formats intégrés aux Jeux d’hiver, qui s’éloignent trop de leur vision de leur sport de pleine nature. Les athlètes n’ont pas tous la même vision sur le sujet", pose Eric Adamkiewicz, maître de conférences à l'université Toulouse 3 et spécialiste des activités sportives en montagne.

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Parmi eux, un autre Français : William Bon Mardion, double champion du monde en 2013, qui se montrait catégorique en 2022 : "Je ne vois pas comment on peut appeler ça du ski-alpinisme aux JO. On aurait pu montrer au monde entier un beau sport et là, on ferait voir un 200 m sur une piste, ce serait pareil. Le sprint, c'est un petit échantillon, mais ce n'est pas notre sport". En avril 2023 en Norvège, William Bon Mardion était même allé jusqu’à prendre le départ de Coupe du monde déguisé pour dénoncer la direction prise par sa discipline. Deux ans plus tard, il a frappé encore plus fort.

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Vous êtes sûrement passé à côté, pourtant, la scène a fait le tour du monde. Bras en croix devant le visage, William Bon Mardion a décidé de marquer les esprits le 25 janvier 2025, dans la station andorane d’Arinsal. A 41 ans, le double champion du monde 2013 de ski-alpinisme a refusé de prendre le départ de la course individuelle du jour, organisée sur un stade, avec des marches artificielles taillées à la tronçonneuse, et une descente sur piste damée avec des portillons, comme en ski alpin.

"Je fais du ski-alpinisme, pas du ski de stade. Je trouve ça dommage de formater notre sport pour le rendre télévisuel", s’est ensuite justifié le Français sur ses réseaux sociaux. Le double vainqueur de la Pierra Menta, la plus prestigieuse des courses de ski-alpinisme, ne se retrouve plus dans son sport de toujours : "Jamais je n’aurais imaginé faire cela dans ma carrière : refuser de participer à une course de ski-alpinisme (...) une discipline qui m’a tant apporté, tant donné, fait rêver enfant et continue de me transporter à 40 ans passés."

"Quelles valeurs peut-on transmettre avec des courses qui ne respectent ni notre discipline, ni notre histoire, ni les athlètes qui la font ? Que va-t-on transmettre aux générations suivantes avec un format d’épreuve aussi éloigné du sens et des valeurs de notre discipline ?"

William Bon Mardion, double champion du monde

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Remonté contre son sport qui perd son essence, William Bon Mardion a ajouté : "Certains préféreront ne rien dire et continuer les compétitions avec pour seul but le mirage olympique et son format télégénique. Mais je n’ai simplement pas envie de voir mon sport finir dans un format aseptisé, cadenassé par des règles qui ignorent les nôtres, où l’essence du mot ski-alpinisme n’a plus de sens." 

"La malédiction des anneaux olympiques"

Une prise de position forte, saluée par plusieurs légendes de la discipline, dont l’Espagnol multiple champion du monde, Kilian Jornet : "L'image d'une course individuelle avec des portes en descente et des escaliers sur les sentiers est évocatrice de la perte de connexion avec l'essence du ski-alpinisme, effaçant la capacité du skieur à trouver les meilleures lignes, à adapter les techniques en montée…" 

Ce geste de William Bon Mardion fait d’ailleurs écho à d’autres disciplines, rappelle Guillaume Desmurs, écrivain spécialiste des sports d’hiver : "Terje Haakonsen était le meilleur snowboardeur du monde au début des années 2000. Il tenait le même discours. A partir du moment où une discipline devient olympique, elle perd son essence, elle se formate totalement aux contraintes de l'olympisme. Ce qui est le cas avec le ski-alpinisme, comme ça l’a été avec le ski de bosses, le snowboard et le ski freestyle."

"C’est la malédiction des anneaux olympiques, qui industrialisent les disciplines, quitte à leur faire perdre leur âme. Pendant quatre ans, toutes les compétitions s'organisent pour préparer les JO. Ça transforme totalement la façon de s'entraîner des athlètes, et les terrains sont standardisés, ce qui pose question pour un sport de nature comme le ski alpinisme."

Guillaume Desmurs, écrivain spécialiste du ski

à franceinfo: sport

La seule fenêtre d’espoir pour les puristes, c’est que le CIO change de braquet pour les Jeux de 2030 dans les Alpes Françaises, en introduisant d’autres épreuves de ski-alpinisme, à commencer par la course individuelle et la vertical race. "D’autant qu’on est bon dans ces formats…" sourit Thibault Anselmet. Contacté par franceinfo: sport, Edgar Grospiron, patron des Jeux 2030, n'a pas souhaité s'exprimer sur ce sujet.