Rencontre Trump-Poutine : pourquoi le sommet sur l'Ukraine en Alaska place Volodymyr Zelensky dans une situation délicate

Un sommet critique pour Kiev. Vendredi 15 août, le président américain, Donald Trump, et son homologue russe, Vladimir Poutine, doivent se retrouver en Alaska pour un tête-à-tête autour de la guerre en Ukraine. Une rencontre à laquelle le dirigeant ukrainien, Volodymyr Zelensky, n'est pas convié. "Toute décision qui serait prise contre nous, qui serait prise sans l'Ukraine, serait une décision contre la paix", a mis en garde le président ukrainien, avant d'ajouter mercredi depuis Berlin : "Nous espérons que le thème central de la réunion sera un cessez-le-feu. Un cessez-le-feu immédiat." Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a quant à lui évoqué une "chance" réelle de parvenir à une trêve grâce au président américain.

L'absence de Kiev à la table des négociations alimente toutefois la crainte d'un accord qui lui serait défavorable, même si "la volonté américaine" est d'"obtenir un cessez-le-feu" en Ukraine, a assuré mercredi Emmanuel Macron. Selon le président français, Donald Trump "va se battre" pour organiser une réunion entre les Etats-Unis, la Russie et l'Ukraine. "Nous souhaitons qu'elle puisse se tenir en Europe, dans un pays neutre", a ajouté le chef d'Etat, au nom des dirigeants européens. Un peu plus tard mercredi soir, Donald Trump a déclaré vouloir organiser une rencontre entre Vladimir Poutine, Volodymyr Zelensky et lui-même "presque immédiatement" après le sommet de vendredi. Il a aussi à nouveau menacé la Russie de "conséquences très graves" si elle ne met pas fin à la guerre. A l'approche du rendez-vous, les pressions diplomatiques s'intensifient, car l'enjeu est de taille.

Parce que les Ukrainiens et les Européens ne sont pas conviés

Pour la rencontre de vendredi entre Vladimir Poutine et Donald Trump, ni Kiev ni les Européens ne sont invités à la table des négociations. Cette configuration, selon Guillaume Lasconjarias, historien militaire et enseignant à la Sorbonne, réduit l'Ukraine au rang d'objet de discussion entre grandes puissances, et non plus d'acteur à part entière des relations internationales. "Si vous n'êtes pas à la table, c'est que vous êtes au menu", ajoute le spécialiste, soulignant la dimension symbolique de cette exclusion. "Ce sommet donne l'impression que le sort de l'Ukraine va se régler sans sa participation. C'est terrible", souligne de son côté David Teurtrie, spécialiste de la Russie à l'Institut catholique d'études supérieures. 

L'Europe, qui soutient massivement l'Ukraine sur le plan militaire et économique, perd ainsi une opportunité de peser sur des décisions qui conditionneront l'avenir immédiat du pays. "Ça ressemble un peu à la négociation de deux pays hyper puissants qui essaient de décider le sort de pays qu'ils considèrent comme des petits ou sans grande importance", observe Oksana Mitrofanova, docteure en sciences politiques ukrainienne et enseignante-chercheuse à l'université Jean Moulin Lyon 3.

Parce qu'il y a un risque d'alignement de Washington sur les visées de Moscou

En plus d'être exclue des discussions de vendredi, l'Ukraine craint aussi que Washington ne défende pas ses intérêts lors du sommet. Et pour cause : depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a laissé entendre qu'il était prêt à envisager des concessions pour mettre rapidement fin au conflit et s'est dit "contrarié", lundi, du refus de Kiev d'un éventuel "échange" de territoires avec la Russie. "Le président américain considère que cette guerre, c'est celle de Joe Biden, et il n'a aucune raison de défendre bec et ongles les positions ukrainiennes", analyse David Teurtrie. Pour le chercheur, le républicain pourrait même voir d'un bon œil la perte de terrain du côté ukrainien, car cela affaiblirait l'héritage politique de son prédécesseur démocrate et lui permettrait de se présenter comme celui qui a "mis fin" à une guerre qu'il n'avait pas commencée.

Cette approche inquiète Kiev. L'Ukraine redoute notamment que l'instable allié américain penche du côté des exigences de Moscou, selon Guillaume Lasconjarias. Le président américain pourrait être tenté de privilégier un accord rapide, même déséquilibré, pour pouvoir présenter à l'opinion américaine un succès diplomatique à l'approche des élections de mi-mandat. "Evidemment, ça joue en défaveur de Volodymyr Zelensky", tranche David Teurtrie. 

Parce que le rapport de force sur le terrain est défavorable à Kiev

Sur le terrain, l'armée ukrainienne a reconnu que des troupes russes avaient avancé rapidement dans certains secteurs stratégiques du front. Kiev a notamment ordonné l'évacuation de familles dans des localités de l'est du pays. Du côté de la Russie, le ministère de la Défense russe a affirmé que ses unités avaient conquis Nykanorivka et Souvorové, dans la région de Donetsk. Des informations qui viennent confirmer un durcissement de la situation militaire défavorable à l'Ukraine. Pour Guillaume Lasconjarias, si la Russie arrive au sommet en Alaska avec un succès tactique, elle sera "en position de force" et l'Ukraine, elle, "en position de faiblesse". "Le rapport de force est très clairement favorable à la Russie", estime de son côté David Teurtrie. "Aujourd'hui, il faut se demander quel est l'intérêt de l'Ukraine, et notamment est-ce qu'ils doivent négocier au plus vite pour empêcher un effondrement de leur position militaire", questionne ainsi le spécialiste de la Russie à l'Institut catholique d'études supérieures. 

A ce désavantage militaire s'ajoute une dépendance structurelle qui limite la marge de manœuvre de Kiev. L'Ukraine est "tenue à bout de bras" par ses alliés occidentaux, ajoute le chercheur, non seulement pour les livraisons d'armes mais aussi pour son économie, jusqu'aux salaires de ses fonctionnaires et militaires, largement financés par l'aide internationale. Cette dépendance rend difficile toute stratégie autonome, d'autant plus que l'aide américaine a déjà diminué depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, rappelle Oksana Mitrofanova.

Parce que la rencontre avec Donald Trump apporte une légitimité diplomatique à Vladimir Poutine

Depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022, Vladimir Poutine a été largement isolé du monde occidental, se limitant à des déplacements dans des pays alliés ou neutres, comme la Chine, l'Iran ou certains Etats d'Asie centrale. Dans cette perspective, la présence du président russe en Alaska ne représente pas seulement un épisode diplomatique mais le risque d'une "légitimation" du Kremlin sur la scène internationale, assure Oksana Mitrofanova. 

"Cette rencontre passe au-dessus des sanctions, explique-t-elle. Si un pays peut en envahir un autre, annexer ses territoires et être ensuite reçu par le président des Etats-Unis pour négocier en position d'égalité, cela envoie un message très clair à d'autres régimes autoritaires", ajoute la chercheuse, qui redoute qu'une normalisation des relations diplomatiques avec Vladimir Poutine ne prépare un effacement progressif des sanctions internationales. 

Parce que l'issue de ce sommet est incertaine

Les chercheurs interrogés par franceinfo restent toutefois prudents sur l'issue de la rencontre. "Je n'attends aucune percée de ce sommet. Poutine n'a pas abandonné son objectif ultime de détruire l'Ukraine", a notamment prévenu Oleksandr Merezhko, président de la commission des affaires étrangères du Parlement ukrainien. Pour lui, la rencontre en Alaska rappelle davantage le sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un de 2019, "un spectacle pour les médias", destiné à servir les intérêts d'image de Donald Trump, plutôt qu'une négociation substantielle, rapporte Politico. De son côté, Oksana Mitrofanova rappelle également le caractère imprévisible de Donald Trump, "capable de changer brutalement de position", voire de faire un "coup" inattendu.

"Si les Russes et les Américains se rapprochent, Volodymyr Zelensky sera obligé soit de refuser et de se mettre dans une situation extrêmement complexe, soit d'accepter une solution imposée", soutient Guillaume Lasconjarias, qui insiste toutefois sur le fait qu'il est "très possible" que Moscou et Washington ne parviennent pas à s'entendre sur l'ensemble du dossier. Dans ce cas, l'Alaska ne serait "qu'une étape" dans un processus plus long, et non un tournant décisif de la guerre, conclut le chercheur.