Rachida Dati entend « rapprocher la politique de l’architecture des réalités locales »

Ce n’est pas un hasard si le Grand Prix national de l’architecture 2024 a été décerné ce mardi, par la ministre de la Culture, Rachida Dati, à l’Atelier Perraudin, agence lyonnaise dirigée par Gilles Perraudin et son fils Jean-Manuel, chantre de l’architecture vernaculaire, privilégiant les ressources locales et notamment l’utilisation de la pierre, depuis les années 90. Cette distinction incarne les changements d’une profession obligée de s’adapter aux nouveaux contextes géographiques et aux défis climatiques. Elle montre aussi qu’il faut désormais appréhender autrement l’histoire d’une discipline qui a beaucoup évolué. Bien que la France, enfermée dans ses carcans, a pris le train en marche bien tard.

«Il y a dans, dans notre pays, un profond besoin d’architecture, a lancé d’emblée, Rachida Dati. «Rénover le bâti existant, imaginer de nouvelles façons de vivre et d’habiter, s’adapter aux transitions écologique et numérique, ce sont autant de défis qui nécessitent l’engagement de toutes celles et ceux qui font l’architecture aujourd’hui », a-t-elle poursuivi dans son discours, pas vraiment incarné et surtout très politique. Quid, dans son introduction à l’auditoire, des architectes, ceux qui font justement l’architecture, pourtant nombreux dans la salle de boiseries donnant sur le Palais Royal ! Préférence aux députés, sénatrices, élus, directeurs des écoles ou académies d’architecture et au président de la Cité de l’architecture, Julien Bargeton, assis au premier rang.

Et de dévoiler ensuite sa nouvelle stratégie pour l’architecture qu’elle compte conduire de 2025 à 2029, une politique publique que cette dernière juge ambitieuse, déjà nourrie par un travail de concertation avec l’ensemble de l’écosystème architecture, à savoir les 93 Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement, le Réseau des 32 Maisons de l’architecture (RMA) et les associations de professionnels, déjà pleinement mobilisés à ses côtés.

Rapprocher l’architecture du local

Qu’elles en sont les grandes lignes alors que la ministre qui multiplie tous azimuts les annonces depuis quelques semaines fait face à la fronde du monde de la Culture, inquiet des coupes budgétaires ? L’intention de rapprocher la politique de l’architecture des réalités locales est louable. Dire qu’il faut «transmettre une nouvelle culture de l’architecture, accompagner les professionnels, encourager les talents et la diversité des parcours, renouveler l’enseignement et la recherche, favoriser l’innovation et l’expérimentation » va dans le bon sens.

On nous assure pourtant, en point fort, la création, dès le 1er mars 2025, d’une nouvelle école nationale supérieure d’architecture dans l’île de la Réunion, afin de mieux répondre aux besoins architecturaux des outre-mer. Celle-ci n’est pas vraiment nouvelle puisque l’école a ouvert ses portes en 1988 en tant qu’antenne de l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Montpellier. Mais elle va prendre son autonomie. Cette école (la 21ᵉ des ENSA qui forme chaque année 20 000 étudiants en architecture, ce qui n’est pas suffisant, juge la ministre) « sera notamment en mesure d’agir au plus près des besoins de reconstruction à Mayotte », archipel dont les infrastructures ont été ravagées mi-décembre par le cyclone Chido, a insisté la ministre, sans toutefois détailler de quelle manière.

Autre axe de sa politique ? L’enseignement et son accès facilité par plusieurs mesures. À savoir, le lancement d’une formation post-master portée par le réseau scientifique et pédagogique « Perspectives rurales », via l’école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand, qui permettra de lutter contre les déserts architecturaux en incitant et en préparant les jeunes architectes à s’installer en milieu rural. Aucun territoire ne doit être laissé de côté, les DRAC (direction régionale des affaires culturelles) devant pousser au maximum cette stratégie nationale. Pas de détails non plus sur sa méthodologie. On constate l’impasse dans le domaine médical qui peine à convaincre les généralistes à s’installer en dehors des grandes villes.

« On arrive au paradoxe d’une société qui a besoin de plus d’architectes, de jeunes qui veulent le devenir, mais d’écoles qui n’ont pas été assez accompagnées à ce stade pour permettre d’accroître le nombre d’étudiants qui s’engagent dans cette voie et rejoignent ensuite la profession. Je ne me satisfais pas de cette situation », a expliqué la ministre. Son objectif ? Augmenter de 20 % le nombre des étudiants sur dix ans dans les écoles nationales supérieures d’architecture. « C’est bien mal connaître le système car, à la sortie de l’apprentissage, moins de 30 % des élèves, choisissent la vocation d’architecte », répond l’architecte Odile Decq qui a créé en 2013, l’école privée Confluence Institute, à Lyon (dont le Royal Institute of British Architects (Riba) a reconnu le diplôme), avant de l’installer en dessous de son agence, dans le Marais, à quelques pas de la place des Vosges. « Il faut arrêter de croire que les écoles d’architecture mènent obligatoirement à une profession. Elles développent la capacité de penser, de proposer des solutions à d’autres métiers, comme scénographe, couturier, urbaniste ou gérant d’entreprise, de s’ouvrir l’esprit et pas seulement former des exécutants ! » ajoute-t-elle.

Égalité des chances

Autre proposition plutôt bien accueillie de Rachida Dati, la généralisation d’ici deux ans et dans l’ensemble des écoles d’architecture d’une formation en alternance. À horizon de cinq ans, toutes les écoles accueilleront 20 % d’étudiants issus de filières professionnelles ou technologiques. Et aussi la révision des textes réglementaires des ENSA afin d’alléger le rythme des études et renforcer les expériences professionnelles des étudiants pendant leur scolarité, le lancement d’une nouvelle édition des Archi-Folies afin de permettre aux étudiants, aux écoles et aux enseignants de concevoir 21 appartements démonstrateurs, pour penser le logement de demain. « Je veux que toutes les ENSA rejoignent le programme ’’parcours égalité des chances’’ dès 2026. Un accès à la profession pour tous, ce qui n’est pas le cas actuellement », juge la ministre.

Place également à la qualité des constructions publiques qui sera engagée dès 2025, par la création d’un comité interministériel pour l’architecture, se devant de renforcer le soutien et l’accompagnement de l’État en matière de formation, d’ingénierie et de soutien technique à destination des élus locaux et des associations qui ont besoin de conseils dans leurs maîtrises d’ouvrage. Un financement par le ministère de la Culture et, à l’horizon de cinq ans, de 100 contrats doctoraux supplémentaires relatifs à la transformation des bâtiments existants et des territoires, est prévu pour répondre à l’enjeu de la transition écologique. En conclusion : l’architecture est l’affaire de tous. Il faut mettre tout le monde autour de la table pour trouver ensemble les meilleures solutions possibles. Un chemin pavé de bonnes intentions. Mais dans le fond, on n’en sait guère plus. Comme l’on ignore de quels financements pourrait bénéficier cette feuille de route...