Fumée noire ou fumée blanche : la chimie qui se cache derrière les fumées «colorées» du conclave
À l’issue de chacun des votes des cardinaux réunis en conclave dans la chapelle Sixtine, les bulletins sont brûlés dans un poêle en fonte. Une cheminée, visible depuis la place Saint-Pierre, est installée spécialement pour l’occasion sur le toit. La couleur de la fumée est alors scrutée avec attention. Une fumée «noire» signifie que le vote n’est pas concluant. Une fumée «blanche» qu’un Pape a été élu. Habemus papam !
Soit, mais comment obtient-on la couleur désirée ? Historiquement, la tradition veut que ce soit avec en ajoutant de la paille mouillée aux bulletins que l’on obtient la célèbre fumée blanche. Ce sont en effet les fines gouttelettes contenues dans une fumée saturée de vapeur d’eau qui permettent de réfléchir la lumière dans toutes les directions, et qui donnent cette couleur blanche. C’est le même phénomène qui donne leur blancheur aux nuages (ils deviennent noirs quand ils sont si chargés d’eau que la lumière provenant du Soleil n’arrive plus à les traverser). La fumée noire fut longtemps obtenue en ajoutant de la poix ou du noir de fumée avec les bulletins. L’idée est de produire de fines particules carbonées qui vont absorber la lumière (mélangée ou non à l’eau).
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Incertitudes et théories complotistes
En pratique, ces deux procédés sont toutefois assez artisanaux et ne permettent, au mieux, que d’obtenir des teintes de gris. Cela a pu nourrir certaines confusions. En 1958 par exemple, plusieurs feux de bulletins se sont soldés par la production d’une fumée dont la couleur fut mal interprétée par les observateurs, donnant lieu à différentes théories complotistes sur une prétendue manipulation de l’élection. Suivant que la fumée est éclairée par le bas, par un spot lumineux par exemple, ce qui la rend plus blanche, ou que la lumière du soir ne parvient pas à la traverser, ce qui la rend plus sombre, comme les nuages d’orages, la teinte perçue peut se révéler ambiguë.
En 2013, au moment de l’élection du pape François, le service d’information du Bureau de Presse du Saint-Siège, révélait qu’un deuxième poêle électronique avait été ajouté depuis 2005 au poêle historique afin d’améliorer le dispositif et d’éviter les fausses alertes. Des produits chimiques y étaient adjoints pour renforcer la couleur. «Pour une fumée noire, le composé chimique utilisé est un mélange de perchlorate de potassium, d’anthracène (un hydrocarbure aromatique polycyclique, NDLR) et de soufre», est-il écrit dans le communiqué. «La fumée blanche est obtenue à l’aide d’un mélange de chlorate de potassium, de lactose et de colophane. La colophane est une résine ambrée naturelle obtenue à partir de conifères.» Dans les deux cas, l’idée est d’utiliser un composé fumigène (le chlorate ou le perchlorate) associé à des colorants «naturels».
Le Vatican ne donne pas de détails sur la question, mais si ce poêle fumigène a bien été utilisé en 2005, le résultat ne fut pas très concluant... Des fumées diversement grisâtres avaient jalonné les votes successifs jusqu’à l’élection finale de Benoît XVI. C’est donc presque à la surprise générale, sans que l’on sache précisément ce qui avait été modifié ou non dans le processus, que le dispositif s’avéra extrêmement clair huit ans plus tard, en 2013, pour l’élection du pape François. les votes non concluants furent suivis d’émanations noires comme la suie, tandis que son élection fut annoncée par une fumée blanche éclatante. Il est permis de penser que la leçon a maintenant été bien apprise et que les fumées du conclave de 2025 seront elles aussi sans ambiguïté.