Heinz Guderian, le maître des Panzers, de Jean Lopez : le partisan zélé du Reich

Qu’on se le dise : il n’y a pas eu, dans les instances de la Wehrmacht, de soldat apolitique ou de chevalier sans reproche. C’est une des leçons que l’on peut tirer de ce nouvel essai, tout aussi magistral que les précédents, de Jean Lopez, simplement intitulé Heinz Guderian. Le maître des panzers. Une biographie d’une insurpassable minutie, la vie et l’action de Guderian sont fouillées de fond et comble, de son adolescence à sa disparition en 1954, notamment à travers son abondante correspondance avec sa femme, Margarete. Une investigation qui ne laisse aucune place à la légende entretenue après-guerre selon laquelle Guderian aurait mené la blitzkrieg, la fameuse guerre éclair en Pologne, en France, puis en Russie, lors de l’opération Barbarossa, sans se compromettre avec Hitler.

« En menant de vastes formations blindées de succès en succès entre 1938 et 1941, Guderian n’a pas peu contribué à donner à la Wehrmacht l’illusion qu’elle tenait la martingale militaire, un objet maniant surprise, vitesse, puissance, endurance et terreur. De quoi faire sauter la banque de l’Histoire, le rêve des nazis !», écrit Jean Lopez. National-socialiste convaincu, même s’il ne fut pas encarté, contrairement à sa femme, qui bavait d’admiration devant le Führer, le général prussien le fut dès le lendemain d’une Première Guerre mondiale qu’il termine traumatisé par la défaite. Un des premiers chapitres, consacré à son engagement au sein des corps francs nationalistes dans les pays Baltes, est à cet égard significatif. Guderian est un pangermaniste convaincu de la légitimité de la colonisation des pays slaves.

« Pareil peuple est mûr pour l’extermination. À ces bêtes, on ne peut montrer la moindre pitié », écrit-il en 1919 à sa femme à propos des Lettons, « semi-sauvages ». Quand il devient, dans les années 1930, un des concepteurs de l’armée blindée, dont il s’attribue la paternité exclusive, alors qu’il la partage avec d’autres, comme le général Oswald Lutz, sa religion est faite : il est un partisan zélé du Grand Reich.

Tacticien et meneur d’hommes

Écarté par Hitler après l’échec de l’offensive sur Moscou en décembre 1941, il devient, en mars 1943, l’inspecteur général des troupes blindées et supervise la conception et la production des panzers en collaboration étroite avec le ministre de l’Industrie, Albert Speer. S’il tient parfois tête au Führer, dont il est un des proches conseillers, notamment concernant la guerre à l’est, il lui reste fidèle jusqu’au bout. Partisan de la nazification idéologique de la Wehrmacht, il se désolidarise du complot qui aboutit, en juin 1944, à la tentative d’assassinat de Hitler.

Finalement, Guderian reste dans l’histoire comme l’homme de Sedan

Jean Lopez

Ces compromissions en chaîne ne l’empêcheront pas de peaufiner son image de guerrier aussi intrépide que dépourvu d’idéologie, notamment à travers la publication de ses Mémoires, Souvenirs d’un soldat, qui seront un franc succès dans les années 1950. Au passage, Lopez relativise une autre légende. S’il lui accorde d’extraordinaires qualités de tacticien et de meneur d’hommes, Guderian ne fut pas un stratège de premier plan, a contrario d’un Manstein. « Finalement, écrit Jean Lopez, Guderian reste dans l’histoire comme l’homme de Sedan. Son nom est indissociablement lié aux panzers de 1940, objet fantasmé qui a fini dans la mémoire collective par dissimuler les profondes faiblesses matérielles et intellectuelles de la Wehrmacht. Durant des années, les divisions de panzers ont donné au Troisième Reich l’illusion de la puissance militaire. Et leur prophète a été celui de cette grande illusion. »

Heinz Guderian. Le maître des Panzers, de Jean Lopez, Perrin, 560 p., 26 €. Perrin