"Bras d'honneur", "magouille"... Comment le PS et LFI se déchirent à l'occasion du débat sur le budget à l'Assemblée nationale

Emoi chez les députés socialistes, qui se ruent sur leurs téléphones portables pour livrer la bataille sur les réseaux sociaux. Mercredi 5 novembre, en début de soirée, alors que l'Assemblée nationale examine cette semaine le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, un amendement qu'ils ont déposé visant à augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du capital, destinée à financer la suspension de la réforme des retraites, est rejeté. Les députés de La France insoumise ont voté contre. Une partie des écologistes se sont eux abstenus. "Un bras d'honneur gigantesque", accuse sur le réseau social X le député PS de l'Essonne Jérome Guedj, dont la vidéo est abondamment partagée par ses collègues. Il y voit "l'illustration de ceux qui préfèrent tout tout de suite et qui au final n'ont rien maintenant".

Les insoumis ne sont pas en reste. Le député LFI Paul Vannier revendique sur X "une victoire" face à ce qu'il qualifie de "magouille" entre le PS et le gouvernement. Il explique que les élus LFI ont voté contre l'amendement des députés socialistes pour en défendre un autre, déposé par leur camp, "mieux disant" car "augmentant la CSG sur le capital de façon pérenne".

Le chiffrage des insoumis est contesté par le camp socialiste. "Il faut arrêter de mentir", sermonne Olivier Faure sur X. "Une injustice fiscale ne se décale pas, elle s'abroge", réplique Mathilde Panot, patronne des députés LFI, sur le même réseau. Chez les socialistes, on revendique la nécessité de ne pas "laisser passer". "Politiquement, c'était important pour nous, car cela revient à une remise en cause de la 'flat tax' d'Emmanuel Macron", un impôt à un taux fixe sur les revenus du capital, explique un collaborateur du groupe socialiste. "Et budgétairement, c'était une recette de 2,7 milliards qui permettait de financer la suspension de la réforme des retraites", poursuit-il.

Finalement, l'amendement de repli du PS, une procédure parlementaire qui permet à un article rejeté d'avoir une forme de seconde chance, est voté par les insoumis. "Ils ont compris que cela était incompréhensible vu de l'extérieur", jubile le collaborateur du groupe socialiste. "Pas du tout, il était identique au nôtre que l'on venait de voter", rétorque Aurélien Lecoq, député LFI du Nord. Les voix de nombreux députés macronistes (de Renaissance et du MoDem) se sont également jointes à celles de la gauche. Les députés de la droite (Les Républicains et Horizons) ont voté contre, tout comme le Rassemblement national. Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, a appelé à voter pour. Surtout pour que l'amendement puisse être rediscuté dans la suite de la navette parlementaire mais sans en approuver les modalités.

"On n'a plus d'échanges politiques avec eux"

Au-delà des subtilités de la procédure législative, ce dernier épisode en date traduit les tensions entre les socialistes et les insoumis qui émaillent ce débat budgétaire, sous les yeux de leurs adversaires politiques. "Il faut regarder le vote de mercredi sur l'amendement Guedj. Ils se levaient les uns et les autres. Normalement LFI invective beaucoup le PS, mais là, c'était physique", témoigne un député EPR.

Cette tension diminue-t-elle quand on sort de l'hémicycle et du chaudron des discussions enflammées ? "Bof… C'est devenu très froid. Sauf avec certains d'entre eux", explique une élue socialiste à franceinfo. "Hier, j'ai déjeuné à la même table qu'une membre de la garde rapprochée de Jean-Luc Mélechon qui attaque d'emblée sur les réseaux sociaux. Ce n'est plus possible", poursuit-elle. Ce ressenti est plutôt partagé du côté des insoumis. "On n'a plus d'échanges politiques avec eux depuis 2024, même plus d'échanges interpersonnels entre députés, y compris avec la gauche du groupe", constate un député LFI auprès du service politique de France Télévisions. 

Ces passes d'armes parlementaires trahissent des stratégies politiques différentes : les insoumis souhaitent censurer le gouvernement ; les socialistes espèrent obtenir des avancées en faisant pression sur celui-ci, mais sans le renverser en préambule de toute discussion. "Depuis quatre semaines, on voit que les insoumis ont une stratégie globale : ne pas permettre une victoire politique du PS", juge un député PS au front des débats budgétaires. "Ils font tout pour que les socialistes ne puissent pas revendiquer un seul gain. Alors, ils brûlent tout, ils abîment tout", déplore-t-il, évoquant le vote contre la suspension de la réforme des retraites des députés LFI en commission des affaires sociales.

Dans l'hémicycle, ce devrait également être le cas. "Voter pour la suspension, c'est accepter le principe du recul de l'âge légal de départ à 64 ans, il n'en est pas question", commente Damien Maudet, député LFI de Haute-Vienne. "Aller récupérer des miettes, ce n'est pas une victoire politique. On n'est pas là pour demander l'aumône", abonde l'insoumis du Nord Aurélien Lecoq, pour qui "cette suspension de la réforme des retraites consiste à offrir une montre au poignet droit en même temps que de couper le bras gauche".

"Ils ont besoin d’un traître en miroir""

Ces divergences de stratégies ne sont pas nouvelles. La réforme des retraites d'Elisabeth Borne comme l'attaque du 7-Octobre menée par le Hamas contre Israël ont conduit la Nupes, puis le Nouveau Front populaire (NFP), au bord de la rupture, mais ne l'ont pas empêché de trouver une alliance pour les élections législatives de l'été 2024, organisées après la dissolution ordonnée par Emmanuel Macron. Ces débats budgétaires marquent-ils un divorce définitif ? "Avant, avec LFI, on avait des divergences, mais on savait qu'on était du même côté de la barricade. Là, ils sont passés de l'autre côté", ironise Philippe Brun, député PS de l'Eure. "Dans leur récit d'intransigeance, ils ont besoin d'un traître en miroir", ajoute une députée PS, pensant toutefois "qu'un pacte de non-agression" est toujours possible lors de futures élections pour les députés sortants.

Du côté des insoumis, on pointe l'isolement des socialistes et on pronostique, sur la suspension de la réforme des retraites, un vote contre du groupe communiste et une abstention du groupe écologiste. "A la fin, les socialistes seront les seuls à gauche à voter la suspension", lance un député LFI. Les autres formations du NFP ne démentent pas ce vœu des troupes de Jean-Luc Mélenchon. "Les groupes de gauche ne sont pas les voitures-balais des tractations socialistes", cingle une députée écologiste.

"Les uns et les autres jouent leur positionnement pour la présidentielle de 2027, estime un membre du gouvernement. LFI consolide une gauche radicale et le PS emprunte la voie de Raphaël Glucksmann en espérant que ça amène quelque chose. Chaque jour qui passe rend le retour en arrière plus compliqué pour eux." L'épisode de mercredi soir apparaît comme une répétition de celui du 12 novembre, où l'hémicycle examinera l'article 45 bis qui prévoit la suspension de la réforme des retraites. La gauche pourrait une nouvelle fois y étaler publiquement ses divisions.