Adélaïde de Clermont-Tonnerre, lauréate du Prix Renaudot 2025

Les jurés Renaudot ont décerné leur prix à Je voulais vivre (Grasset) d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre, au septième tour par six voix contre trois à Justine Lévy (Une drôle de peine, Stock) et une à Feurat Alani (le Ciel est immense, Lattès)

Dans la catégorie essai, c’est Alfred de Montesquiou qui remporte le prix pour Le crépuscule des hommes (Robert Laffont). Le Renaudot du Livre de Poche a été attribué à Boualem Sansal pour son roman Vivre (Folio).

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Normalienne, directrice du magazine Points de vue et écrivain, Adélaïde de Clermont-Tonnerre a reçu le prix Renaudot pour son 4e roman. Dans Je voulais vivre  , elle donne une autre version de la vie de Milady, l’héroïne des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Celle d’une femme éprise d’indépendance et marquée par le massacre, lorsqu’elle avait six ans, de sa mère et de sa nourrice. Un récit épique et plein de souffle.

Question d’éducation, de pudeur. De nature, aussi. Contrairement à beaucoup de ses pairs écrivains, Adelaïde de Clermont-Tonnerre, n’a pas un ego hypertrophié. Quand on la rencontre en vue d’un portrait, elle préfère ainsi dans un premier temps faire parler son interlocuteur, l’interroger, s’enquérir de ses projets plutôt que de parler d’elle, même si c’est l’objet de la rencontre.

A priori réservée, contenue et contrôlée, Adelaïde de Clermont-Tonnerre préfère vivre « d’autres vies que la sienne » à travers ses livres plutôt que s’éterniser sur son CV. Elle ne passe donc pas des heures à disserter sur sa manière d’écrire, ne s’éternise pas sur les affres de l’auteur face à la page blanche. Elle ne se pousse pas non plus du col en exhibant ses états de service et fait preuve d’une exquise courtoisie qu’elle dispense à tous.

Un nouvel éclairage sur Milady, l’héroïne de Dumas

Comble de l’audace, dans cette rentrée littéraire marquée par une multitude de récits autobiographiques, et très souvent dédiés à la figure du père ou de la mère, elle a choisi de relever un défi osé: celui de s’intéresser à la vie de Milady, le personnage créé par Alexandre Dumas en l’éclairant différemment, d’une manière qui se veut plus objective, féminine, voire féministe. Qui humanise ce personnage de fiction qui symbolise jusqu’à l’outrance l’image de la femme malfaisante et diaboliquement belle, « la figure vivante du démon » coupable de mensonge, trahison, manipulation, meurtre…

Fichtre ! Adelaïde de Clermont Tonnerre s’exprime avec des mots choisis, pesés au trébuchet. Elle a une diction parfaite. Pourtant, derrière son allure sage et son calme apparemment imperturbable, les sujets qu’elle aborde dans ses livres sont à des années-lumière des belles histoires de familles royales et de happy few que l’on trouve dans Points de vue, le magazine qu’elle dirige. Comme quoi il faut se méfier des eaux calmes…

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Fourrure (paru chez Stock en 2010), le premier roman de cette quadra bien née, mariée et mère de famille, aurait pu mettre la puce à l’oreille. Il s’agissait en effet de l’histoire d’une femme « de mauvaise vie » , Zita Chalitzine, fille de concierge, ancienne de chez Madame Claude devenue une romancière à succès… Un livre qu’elle avait écrit après avoir assisté à un déjeuner au cours duquel des éditeurs et des écrivains avaient parlé avec un souverain mépris de femmes écrivains qu’elle admirait : « cela a été un festival, c’étaient des phrases du type ’elle écrit avec les pieds’, ‘on doit tout réécrire ‘, ‘elle couche avec machin ‘. Je suis ressortie en état de choc et j’ai écrit la trame de ce qui allait devenir Fourrure ». Un roman qui se déroule durant ces années 70, période qui l’a toujours passionnée, « parce qu’elle est synonyme de liberté et de créativité extraordinaire et que l’argent n’est pas la valeur première dans ces années-là. »

Coexistence du bien et du mal

Dans Le dernier des nôtres, Grand Prix du Roman de l’Académie française 2016, elle évoque ces femmes que l’on a forcées à devenir les esclaves sexuelles des nazis, dans Les jours heureux, elle aborde le mouvement MeToo et l’affaire Weinstein… Adelaïde de Clermont-Tonnerre serait-elle une féministe déterminée ? Une passionaria en embuscade dissimulée derrière l’apparence d’une bonne élève à l’allure sage ? En tout cas la question de la coexistence du bien et du mal hante depuis longtemps cette Normalienne qui a consacré son DEA à Notre-Dame de Guadalupe et à la Malinche, deux figures mexicaines emblématiques de la Vierge et de la putain ; « l’une incarne la sainteté et l’autre l’impureté alors même qu’elle est la mère des Mexicains », déclarait-elle ainsi dans le Madame Figaro.

Avec son « nom à rallonge » comme elle en sourit elle-même, son éducation « très classique » dans les bonnes écoles du 7e arrondissement dans une famille « fantastique, bohème et un peu dingue » du côté de sa mère artiste peintre et sculptrice ( et plus traditionnelle et cadrée du côté du père qui a beaucoup travaillé notamment dans la publicité, et notamment dans la presse régionale) ; avec sa casquette de directrice du journal de « l’actualité des têtes couronnées », on pourrait imaginer qu’Adelaïde de Clermont-Tonnerre a été quelque peu engoncée par une éducation un peu traditionnelle, corsetée par des schémas et des valeurs d’une autre époque… ce qui n’est pas tout à fait vrai. Même si elle le reconnaît, elle a dû batailler, imposer ses choix dans une famille dans laquelle on lui a expliqué - notamment son grand-père, « ancien résistant, homme extraordinaire mais très misogyne » - que cela « ne se faisait pas » d’être artiste ou écrivain. Résultat, relève-t-elle en souriant, « tout le monde est artiste ou presque. Mes tantes, ma mère, ma cousine Charlotte Colbert, qui est réalisatrice et artiste contemporain. Elle a un succès incroyable, elle a fait un film d’horreur féministe sur le retour des sorcières… ça dépote un peu dans la famille ».

Ce qui est interdit devient un moteur

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Et d’ajouter comme ça, au détour d’une phrase, « en fait, ce qui est un interdit devient assez vite un moteur ». Elle a eu quelques modèles en la matière, comme celui de sa tante Laure Boulay de la Meurthe qui lui a ouvert la voie. Alors qu’elle était destinée à faire un bon mariage, celle-ci devient journaliste à Paris-Match (elle découvre notamment qu’Emile Ajar était Romain Gary) puis épouse le milliardaire britannique Jimmy Goldsmith, avec qui elle aura deux filles.

Adelaïde se souvient avec des étoiles dans les yeux d’avoir été comme « une petite souris » à regarder et à écouter les histoires de tous ces personnages « bigger than life », de ces « espèces de grands fauves et de ces grandes tigresses » aux vies tellement romanesques qu’elle a alors la chance de côtoyer. Il y a bien sûr James Goldsmith «fascinant » mais aussi tous les gens qui gravitaient autour de lui, comme son frère Teddy Goldsmith, l’un des premiers écolos qui avait fondé The Ecologist et qui, lorsqu’il s’était présenté aux élections dans le Sussex, avait loué un dromadaire avec ce slogan « Si vous ne votez pas pour Goldsmith, le Sussex sera un désert. » Ou encore John Aspinall « un grand type avec une crinière rousse » qui avait créé un énorme zoo privé. « Il racontait que lorsqu’il engageait quelqu’un, après l’entretien d’embauche, il s’éclipsait deux secondes et faisait entrer les deux tigres qui arrivaient dans le salon. » Elle se souvient aussi de Michel de Grèce « qui était le cousin chéri de ma grand-mère » et qu’elle « aimait tellement ».

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Des conteurs, des gens avec des vies cabossées, qui avaient souvent beaucoup voyagé et que la petite fille qui adore se plonger dans les livres de la bibliothèque très éclectique de sa mère (elle dévore sans distinction des SAS, des grands classiques, Barbara Cartland, lit L’amant de Lady Chatterley à 10 ans « par inadvertance »), adore observer.

Normal Sup et Price Waterhouse

Elle qui se cherchera un peu dans sa jeunesse, changeant de voies plusieurs fois ( « Le côté, j’avais 20 ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie, je souscris. Oui, j’ai trouvé ça très difficile »), finit par s’inscrire en hypokhâgne à Fénelon un peu par hasard grâce à une prof de philo (« Pour moi, hypokhâgne, c’était une maladie vénérienne. Je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait être que ce machin. Je n’en avais jamais entendu parler »). Elle découvre avec exaltation ces études (« c’était une bouffée d’air frais »), intègre ensuite Normale Sup après une parenthèse de quelques mois en Nouvelle-Guinée, avant de se réorienter vers la finance, en entrant tout d’abord chez Price Waterhouse, puis de partir au Mexique pour la Société Générale, passant des fusions-acquisitions au crédit à l’export….

C’est à cette époque qu’elle se rend compte qu’elle n’est pas vraiment à sa place. « Au Mexique, j’ai mangé mon pain noir. Je me retrouve dans un bureau, je suis la plus jeune, la seule femme, la seule Française. » Elle commence alors avec une amie photographe à écrire des sujets pour des petits magazines mexicains sur un héritier de la révolution mexicaine, un lord anglais incroyable qui a construit une sorte de village rêvé avec une architecture folle dans la jungle…. la nouvelle Adelaïde est née. Quand elle rentre en France, elle travaille grâce à Marie-Claire Pauwels pour le Madame Figaro, puis pour Points de vue, et publie son premier roman dans la foulée, à 30 ans. Une romancière est née…