Jouée au théâtre des Beaux-arts à Bordeaux du 25 mars au 18 avril, la pièce Caché aux creux d’un matelas est inspirée d’un document inédit, rédigé par deux Bordelais durant l’occupation allemande de la ville, en 1940.
Passer la publicité Passer la publicitéNous sommes un soir d’été 1940. Bordeaux a été prise par l’ennemi. L’occupant Allemand est là. Les informations les plus folles circulent. Certaines sont vraies, d’autres fausses. Toutes sont cruelles. «Comme un chien Monsieur, comme un chien il a été abattu par un officier. J’en suis resté comme deux ronds de flan ! Quelle brute. Abattu parce qu’il avait volé à mon patron une bouteille de Rhum.» La citation est extraite d’un document inédit de la Seconde Guerre mondiale, un manuscrit baptisé A ç’qui paraît, rédigé et illustré comme un acte de résistance par deux Bordelais, Jacques Grenié et Daniel Diétlin. Le premier, qui écrit, est un quincaillier quinquagénaire, époux et père de famille. Le second, qui dessine et n’a que 16 ans, est scolarisé au lycée de Bordeaux Montaigne.
Comment se sont-ils connus ? Leurs descendants évoquent des liens entre leurs familles et des amitiés scoutes communes. Rassemblés par le mystère de la guerre, les deux hommes produisent une œuvre artistique subversive au regard de l’occupant allemand et donc dangereuse pour eux. Peu après sa production, le livre est caché dans un matelas par la famille Grenié. Pendant ce temps-là, le jeune Daniel Diétlin est entré en résistance active. Après avoir distribué le journal Témoignage chrétien et combattu pour la France Libre dans le maquis bordelais, il est vendu par les indiscrétions d’un ami ivre dans un bar, dénoncé et fusillé. Quatre-vingts ans plus tard, la valeur patrimoniale de ce document - révélé au grand public par nos confrères de France 3 Nouvelle-Aquitaine - est inestimable.
Passer la publicitéTransgressif
«J’ai toujours vu ce livre sur les étagères de la bibliothèque familiale. Petit garçon, il me paraissait mystérieux, presque “interdit” et quand je demandais à le feuilleter, le cérémonial de l’instant avait un goût de transgression», relate Loïc Rojouan, le petit-fils de Jacques Grenié. Artiste dans l’âme également et directeur du théâtre des Beaux-arts à Bordeaux, ce dernier a décidé de s’en inspirer pour écrire une pièce de théâtre. «La mémoire de la Seconde Guerre mondiale s’efface un peu et par les temps qui courent, ce message de résistance doit être transmis. Il m’a paru très important d’être fidèle à ce devoir de mémoire», explique celui qui va incarner son grand-père sur les planches.
Baptisée Caché aux creux d’un matelas, la pièce sera joué dans son théâtre des Beaux-arts du 25 mars au 18 avril 2026. Elle s’appuie sur des extraits du manuscrit d’époque et relate la rencontre entre son auteur et son illustrateur. «Cette relation artistique entre un quincaillier et un lycéen, qui ont choisi de produire ensemble une œuvre dangereuse au nom de la liberté est touchante. C’était leur façon de résister à l’occupant», analyse Vincent Toujas, le coauteur de la pièce de théâtre. Avant d’ajouter : «J’y vois un écho à notre époque : aujourd’hui la censure sur la satire est présente. Alors comment résister aux attaques contre la démocratie ? Ce livre est un bel exemple pour les jeunes qui ne savent pas toujours comment agir dans un monde un peu fragile.»
Un «humour cruel»
«La maturité politique de Daniel Diétlin, qui avait si bien compris ce qu’il se passait à seulement 16 ans est fantastique», souligne Sophie Picon. L’historienne, spécialiste de la résistance bordelaise et auteur de Le Coucou chante en mai, itinéraires de jeunes résistants 1940-1944, estime que ce manuscrit «sans équivalent à Bordeaux» mérite d’être mis en lumière. «Ces illustrations sont passionnantes, car elles présentent un instantané des réactions des Bordelais, et donc des Français, à l’occupation allemande. Et c’est très drôle, bien que d’un humour cruel», complète-t-elle. Une «résistance par l’humour», à l’image du coq gaulois, toujours prêt à chanter peu importe où il pose le pied.