Le tableau ancien ne connaît pas la crise. Et le domaine est particulièrement actif à Paris où le cabinet Turquin a eu entre les mains, cette année, bon nombre de découvertes ou de redécouvertes à identifier, après celles de Caravage, Cimabue, Chardin et bien d’autres. Celle du Guido Reni, vendu mardi après-midi chez Artcurial (avec l’étude Millon) en était une de toute importance visiblement. La toile, David et Goliath, s’est envolée au téléphone à 10,1 millions d’euros au marteau, soit bien plus du double de son estimation, entre 2 et 4 millions d’euros, soit 12,4 millions d’euros avec les frais. Elle avait son certificat d’exportation en bonne et due forme et était libre de partir à l’étranger. L’État français n’ayant pas jugé nécessaire de retenir la toile, le musée du Louvre en ayant déjà une version.
La toile cochait toutes les cases. Son authenticité ne faisait aucun doute. Son format était magistral et sa composition impressionnante. Son état de conservation parfait, à deviner sous les vernis jaunes, impliquant une restauration future. Tout ce dont rêvent les collectionneurs de peinture ancienne et même ceux de l’art moderne ou contemporain, aimant l’art des mélanges. Le domaine sort des frontières d’un petit milieu, jadis réservé aux spécialistes. Ce qui a fait monter les prix en flèche ces dernières années.
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Passer la publicité« L’ensemble de la communauté scientifique, historiens, musées et experts était unanime. Et la toile les avait tous subjugués quand ils l’ont vu », avait souligné à la presse le commissaire-priseur de la maison, Mathieu Fournier. Disparu depuis plus de deux siècles, ce chef-d’œuvre du maître italien, peint vers 1605-1606 et représentant David et Goliath avait refait surface avec la provenance prestigieuse de Francesco Ier d’Este, avant d’entrer dans les collections du prince Eugène de Savoie. Il avait été rapporté en France à la fin du XVIIIe siècle lors de la conquête d’Italie par le général Pierre Antoine Dupont de l’Étang avant de disparaître pendant près de 230 ans. C’est un de ses descendants qui a contacté le cabinet Turquin pour se séparer du tableau mais sans en connaître sa nature ni sa signature, pensant que c’était probablement une copie.
Deux versions très proches
Aucun doute pour Éric Turquin qui en a cherché l’existence depuis des années. Il fit instantanément le rapprochement avec l’autre tableau du Louvre, une composition similaire avec la tête de Goliath tournée vers la droite, celle commandée à Rome par le banquier génois Ottavio Costa et acquise en Italie par le maréchal Charles Ier de Créquy. Il en concluait que les deux versions avaient peut-être été peintes en même temps, l’une étant une commande, l’autre pour lui, ce qui est fréquent chez les grands peintres, comme Guido Reni qui, à l’époque, avait beaucoup de succès et vendait très cher ses toiles.
Avant la vente à Paris, Éric Turquin était parti exposer ce Guido Reni, pendant une semaine chez Adam William Fine Art à New York. Avant de passer aux enchères, le tableau avait aussi été confronté à la version du musée du Louvre, jugée par les professionnels en moins bon état de conservation et à celle du musée des Beaux-Arts d’Orléans, de dimensions moins importantes et de composition différente, avec un David plus jeune. Difficile pour l’heure de savoir qui est l’acquéreur de ce Guido Reni qui tient le haut du palmarès des enchères en tableaux anciens et redonne des couleurs à la place de Paris. Est-il parti outre-Atlantique ou est-il resté en Europe ? Ou s’est-il envolé vers l’un des pays du Golfe qui multiplie les achats pour leurs futurs musées ? Les paris sont ouverts.